Visages de pierre
Des Roms étaient venus s'installer là, l'hiver dernier, derrière l'inutile palissade de bois pourrissant. On les avait expulsés bien sûr, par un petit matin glacé. Ensuite, par mesure de précaution - s'ils allaient revenir ? -, on avait posé de hauts grillages acérés, et on avait fait venir des blocs de pierre qu'on avait poussés tout autour du terrain, pour bloquer les issues. Et les pierres étaient restées là, à pleurer en chaos sous la pluie, comme au pays des menhirs renversés.
Puis le printemps était venu, quelqu'un était passé, avec son pochoir, son encre bleue, son encre rose. C'était un être au coeur léger, à l'imagination nomade et à l'humour flâneur. Sur les pierres il avait posé des visages humains, des sourires humains, toutes sortes de visages ordinaires ou laids, toutes sortes de sourires, lunaires, vulgaires, malicieux ou grotesques, mais si humains, vraiment humains. Et les pierres étaient restées là, à vivre en peuple sous le ciel, comme au château du vieil abbé Fouré.
Il est bon quelquefois de rendre forme humaine à ce qui près de nous a pris forme de haine.