Soudain la lune
Parfois, au soir d'une sombre journée, à la sortie d'un jour perdu à regagner sa vie sur ce monde des hommes qui nous la dispute si rudement, on quitte un instant le trottoir de bitume, on laisse derrière soi le boulevard encombré de voitures, pour marcher près du fleuve sur le quai délaissé, damier aux vieux pavés jointoyés d'herbes et de chemins enfouis.
Soudain la lune...
Soudain la lune est là-haut sur son fil à danser lentement tout en rond.
Et le couchant lui fait un filet de lumière, et les nuages assis dans les gradins du ciel la regardent passer, hochant leurs têtes grises.
Sur le fleuve-océan, le pont de lourd béton est la barque qui va d'une rive à l'autre de l'univers, les immeubles se penchent comme des arbres au vent des îles heureuses, la ville glisse en paix sur l'écume du temps, et cette grue, là-bas, est le mât de misaine où flotte la voile bleue de l'éternel retour.
Et tout reprend sa place, et celui qui ne savait plus, celui qui marche sous la lune, voilà qu'il comprend où il est.