Alors que je photographiais ce beau lion entouré de fiers drapeaux d'Afrique, près du boulevard de la Madeleine, quartier pauvre de réfugiés, d'immigrés et d'étudiants sans le sou, un passant, noir de peau et d'âme claire, est venu me parler - c'est, je trouve, l'un des grands bonheurs du photographe : ceux qui le voient travailler, souvent, s'approchent pour lui dire quelques mots, heureux que quelqu'un donne du prix à ce qui fait leur quotidien si souvent ignoré.
"Vous photographiez le lion ? il est beau, hein ?
-Très beau !
-C'est notre lion protecteur !"
Il m'a regardée cadrer, souriant. Puis, bien sûr, il s'est éloigné. On ne noue, autour de l'appareil-photo, que des relations très fugaces... - mais qui peut-être n'en sont pas moins profondes...
Car je crois avoir compris ce que l'homme avait voulu dire en parlant de lion protecteur.
Ce bel animal, posé sur une façade disgraciée, tirant parti de tout pour exister, de la tôle, des fenêtres grillées, des boîtes aux lettres grises, fixant la ville sombre de ses yeux clairs et courageux, c'est l'âpre vie des pauvres. Et le désir de beauté qui ne les quitte pas, aigu comme l'épée, vient se planter fort et majestueux, lumineux comme l'espoir et la fierté d'être soi, dans les cours étroites de l'angoisse et de la misère, sur les hauts murs froids de l'exil.
Fort comme le lion d'Afrique. Fort comme l'humanité.