Les trognes (réédition)

Publié le par Carole

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"Avant tout, moi est celui-là qui rencontra Pan" - Isi Collin, Pan.
Dans mon village, on appelait trognes ces arbres étêtés qui repoussent plus dru.
 
 
Dans cette ville, comme dans toutes les villes, on a planté de hauts platanes au long des boulevards.
Vers Noël on les encombre de guirlandes électriques, qu'ils portent avec tout le dédain, la haute dignité des vieux totems dans les réserves à touristes.
Puis, pour asseoir sur eux le pouvoir de la ville, on les taille à la fin de l'hiver, amputant d'un ronflement de tronçonneuse tous leurs bras de divinités tournoyantes.
Honteux et pâles, réduits à leur trogne d'écorce grise, longtemps ils restent cois.
Mais le bitume craque à leurs pieds, et les racines montent en longs serpents bruns aux lèvres fendues des trottoirs.
Alors, lentement, on voit les trognes redresser, vers le printemps qui passe, leurs moignons bourgeonnants comme des  poings d'enfants, et puis bientôt ouvrir leurs doigts en éventails, tout doucement, et brusquement les pousser en branches téméraires, comme des chandeliers où s'accrochent l'azur, le soleil et les feuilles, et les nids verts des oiseaux revenus, et le chant des rivières dans le vent des cascades.
Il nous ressemblent, ces arbres dans nos villes : soumis, rognés, étêtés et courbés, trognes lasses, et pourtant toujours prêts pour une vie nouvelle, si Pan, sur les boulevards reverdis, triomphant dans son cortège de forêts, de torrents et de hordes sauvages, d'un souffle tiède rejoue sur la syrinx le bruit vertigineux des jours d'avant.

Publié dans Nantes

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J
Tu as perdu un instant le merveilleux pouvoir qui t'amène à voir l'enchantement de la vie. Mais ce n'est qu'un instant, la nature revient ai galop. Bonne journée Carole. Amitiés. Joëlle
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E
ces bras amputés tendent des moignons tragiques, dont tu dis bien le pathétique - mais la trogne du saule tétard concerne le tronc, et le mot trogne convoque des images de face de buveur réjoui
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C
<br /> <br /> Tu dois avoir raison pour le tronc. Je referai une photo, les arbres "têtards" ne manquent pas, et il n'y a pas que les saules...<br /> <br /> <br /> <br />
A
Bonjour Carole,<br /> La souche d'olivier mesurant environ 50 cm sur 25, le bâton de vieillesse n'est pas envisageable.<br /> Lorsqu'on la retourne, on peut imaginer aussi un fond marin un peu tortueux, pour cela elle est vraiment symbolique de l'histoire de sa région, eau et feu réunis.<br /> ...et puis pour la vieillesse, j'ai encore le temps...un peu..<br /> Bonne journée!
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C
<br /> <br /> Alors il faut en faire une table de chevet, et y poser les livres favoris. <br /> <br /> <br /> <br />
V
:0023: Ce texte est magnifique d'un bout à l'autre ! Chaque phrase mérite à elle seule un éloge... C'est comme un poème. Je suis éblouie ! D'ailleurs à elle seule pose interrogation : on dirait un<br /> chandelier hébraïque ! Le cliché aplatit la perspective comme si l'arbre n'avait de branches que de chaque côté. Bravo Carole.
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C
<br /> <br /> La menorah... j'y avais pensé en effet.<br /> <br /> <br /> <br />
C
et vive les rééditions !
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M
Pauvres arbres malmenés! Certains sont vraiment massacrés et y laissent leur peau, pardon, leur écorce.<br /> Tu as un grand talent de conteuse Carole.j'ai bien aimé.<br /> <br /> Bonne soirée<br /> Martine
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M
Comme un souffle de jeunesse dans ces arbres et dans tes mots!
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J
"Dans histoires pour mes petits enfants" j'ai évoqué la place du village, les jeux d'enfants, les platanes, après avoir lu ton texte, j'ai modifié quelques anecdotes, je mets la page sur mon site.<br /> La fin en vert et comme une réponse à ton texte<br /> Bonne soirée Carole.
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A
Je me fais souvent la même réflexion, sans pouvoir l'exprimer avec ton talent.<br /> Chez nous, ce sont les marronniers qu'on ne se décide à étêter qu'en juin !
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J
Platane des villes... Il doit envier le rat des champs certains jours !! Merci Carole...
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A
Quoi que l'on fasse, la nature reprend toujours ses droit, le bon vouloir des hommes ne peut rien contre une mer déchaînée envahissant une esplanade artificielle, ou un simple brin d'herbe pointant<br /> le nez entre deux dalles de béton.<br /> Ces trognes portent bien leur nom, on voit aussi dans la nature sauvage des arbres qui évoquent des visages humains plus ou moins torturés ou des formes animales.<br /> J'ai récupéré une souche au pied d'un olivier bi séculaire,<br /> elle évoque des flammes vives et je me dis que peut-être, au cours de sa longue vie elle a connu le feu autour d'elle...
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C
<br /> <br /> Je trouve ce mot "trogne" aussi magnifique par ses sonorités un peu rageuses que par sa polysémie.<br /> <br /> <br /> Une souche-phénix passée par l'épreuve de la mort et du feu... il faut s'y tailler son bâton de vieillesse ou de pélerin.<br /> <br /> <br /> <br />
N
Ils attrapent l'azur<br /> Et brossent les nuages...
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J
Très belle image. Merci
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C
<br /> <br /> Merci, Jackie !<br /> <br /> <br /> <br />
P
c'est d'un lyrisme époustouflant.je serai encore plus attentive aux arbres de ma ville grâce à toi.
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P
Ils attendent avec patience que les bourgeons les chatouillent.Alors ils murmureront : "ça gratte."
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C
<br /> <br /> Je crois qu'ils parlent en effet...<br /> <br /> <br /> Merci, et bonne journée,<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
G
certains arbres sont comme des amis, muets certes mais il font partie de notre quotidien
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C
<br /> <br /> Ouyi, ceux-là sont des amis plantés près de mon arrêt de bus...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
V
Je sens l'enthousiasme de la découverte poindre chez moi ....<br /> Une bien belle écriture décidément,<br /> Bonne soirée,<br /> Valdy
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C
<br /> <br /> Merci, Victor, de ce commentaire qui me fait rougir...<br /> <br /> <br /> <br />
M
J'associerai ces trois articles : "les Trognes" et "La délivrance", à Mnémosyne,<br /> les deux dernières photos exprimant un appel, une ouverture....<br /> Bonne soirée
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C
<br /> <br /> C'est en effet ainsi que je l'avais pensé.<br /> <br /> <br /> Merci, et bonne soirée à vous aussi,<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
T
un personnage digne du seigneur des anneaux<br /> tilk
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C
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire qui m'intéresse beaucoup !<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
A
Ton regard, tes mots ne pouvaient que résonner, Carole ! Dans les cours d'école, on plante des arbres, on les étouffe de bitume, puis on les condamne. Etêtés, réduits à 2 mètres, ils osent de<br /> frêles branchages verdoyants. Ils entendent la voix des enfants. De toute leur sève, ils tendent la vie. Merci à toi !
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C
<br /> <br /> J'ai été cette enfant, dans la cour d'école, qui appelait les arbres doucement chaque soir.<br /> <br /> <br /> Car j'ai habité pendant toute mon enfance une école, dans mon petit village.<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
S
Bonsoir,<br /> J'apprécie beaucoup ce croquis aux traits vifs des arbres citadins et de notre ressemblance. Ce sont nos fenêtres qui communiquent avec ses grandes silhouettes trop dociles et comprennent toujours<br /> pas pourquoi elles sont immobiles sur le trottoir. Lorsqu'elles sont entrouvertes, elles leur chuchotent de prendre branches et racines, de quitter l'asphalte si indifférent...Voilà un<br /> petit...vagabondage pour te rejoindre dans ta promenade...à bientôt. Suzâme
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C
<br /> <br /> Merci, Suzâme, pour ces fenêtres tentées de "prendre branches et racines" ; on a souvent en effet cette impression dans les rues en voyant frémir les reflets des arbres dans les vitres.<br /> <br /> <br /> à bientôt, Carole<br /> <br /> <br /> <br />
V
Magnifique texte en hommage à des êtres qui le méritent bien.<br /> Et cette photo nous porte vers le ciel.<br /> A bientôt.
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C
<br /> <br /> Merci, Victor, à bientôt.<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
J
La vie n'est-elle pas plus forte que TOUT ? bel exemple là sous nos yeux ! Joëlle
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C
<br /> <br /> Que TOUT, oui, Joëlle, j'y crois !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
A
Oui ils nous ressemblent ces arbres, ils montrent leurs visages parfois quand les feuilles se dispersent. Merci de ce beau partage Carole.
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C
<br /> <br /> J'ai repris ce nom (patoisant, je pense) de "trogne" pour son double sens en effet...<br /> <br /> <br /> Je referai la photo dans quelques jours, quand les bourgeons auront commencé à éclore.<br /> <br /> <br /> A bientôt, Adamante.<br /> <br /> <br /> <br />