Le vrai du faux
Au n°3 de la place Fernand Soil la porte est toujours close. Bien sûr, me direz-vous, puisque c'est, comme le vieux téléviseur abandonné sur le seuil, comme la pierre de taille et les joints de ciment de l'encadrement, comme le numéro 3 lui-même, si joliment gravé dans la pierre qui n'existe pas, un trompe-l'oeil, une illusion, un faux.
Et pourtant... pourtant, regardez de plus près : sous la fausse porte en trompe-l'oeil il y a bien une vraie porte. On en distingue très nettement les gonds et les clous, et le dormant de bois est encore bien visible sous la peinture brune. Si vous observez mieux encore vous distinguerez même sur la droite le départ d'une seconde porte, parfaitement authentique elle aussi, et que le peintre a emmurée dans les pierre d'illusion de sa fresque. Bien sûr les poignées de cuivre sont fausses, et il n'est plus possible d'ouvrir, de la rue, aucune de ces deux portes, définitivement bloquées sur leur mystère.
Quant aux belles grilles de fer forgé, toutes sont feintes, évidemment, mais les grilles d'aération, laides et noires, habilement masquées par le dessin, sont bien vraies, tout comme ce bout de table que la photo a arraché à la terrasse du café voisin. Et, sur le téléviseur inexistant, le compteur électrique, avec son tag négligemment tracé, est, croyez-moi, des plus réels, malgré sa face blanche et ses coulures de peinture. Car ce numéro 3 qui n'existe pas est tout de même habité par des gens qui se chauffent et s'éclairent, comme nous.
Le vrai, le faux, s'entremêlent étroitement pour tisser, trame et chaîne, la tenture du décor. Le faux s'appuyant sur le vrai, le vrai se défaussant sur l'illusion, et tous deux finalement s'entendant à merveille, pour créer ce trompe-l'oeil admirable, cette porte bien close sur ses ombres, qu'on a coutume d'appeler Vérité.