Le voyage de Simone
Dans la petite ville de banlieue où je demeure, une bien touchante histoire est arrivée le mois dernier : Simone, une pensionnaire de la maison de retraite qui se trouve tout près de chez moi, a reçu, pour ses cent ans, un billet d'avion pour Nice. Pour lui offrir ce billet - cadeau de l'établissement, de la municipalité, ou de la compagnie aérienne, je ne sais -, il avait fallu - cela j'en suis sûre - se décarcasser, s'épuiser en démarches, remplir des dossiers, faire intervenir toutes sortes de sommités et de sponsors...
C'est que Simone n'était pas riche. Simone n'avait jamais pris l'avion. Jamais. Toute sa vie, pourtant, toute sa vieille longue vie, dès l'enfance et si longtemps après, elle en avait rêvé, sans rien en dire. Un jour, Simone, avec la hardiesse que prennent parfois les très vieilles gens qui ont toujours été timides, avait tout de même confié son rêve à une aide-soignante, qui l'avait révélé à la directrice, qui en avait parlé à d'autres personnes plus haut placées, qui elles-mêmes... Et pour finir Simone avait eu cent ans, et on lui avait offert le papier d'Air-France dans une enveloppe étoilée, comme un ticket pour le pays des fées.
Je vous l'ai dit, c'était une très touchante et merveilleuse histoire. On en parlait dans les journaux, Simone avait été photographiée avec le maire de la ville, toute frêle, toute blanche, près du grand homme qui se courbait vers elle. On s'apprêtait déjà à la mettre, avec maintes précautions, dans l'avion de ses rêves... on devait la confier à une hôtesse de l'air qui en aurait pris soin comme d'une toute petite fille... à l'arrivée elle aurait été accueillie par ses vieux enfants qui auraient déjeuné avec elle sur la Riviera dans l'éclat du soleil et de la mer... Enfin c'était une histoire d'amour et de bonheur comme il n'y en a pas beaucoup, vraiment pas beaucoup, dans ces maisons de retraite où l'on s'en va de nos jours, si souvent, mourir sans rêve et sans espoir.
Et puis, la semaine dernière, au moment de prendre l'avion, Simone, brusquement, est morte.
On l'a enterrée jeudi après-midi. Quand j'ai entendu, depuis le bourg, sonner le glas, j'ai su que c'était pour elle.
J'étais au jardin, j'ai levé les yeux. J'ai vu passer dans le ciel, au-dessus des grands chênes de chez moi, au-dessus de la maison de retraite toute proche, au-dessus du cercueil qui entrait dans l'église, si menu, si léger sur les lourdes épaules des employés des pompes funèbres, ce petit avion qui s'envolait, très haut, très loin, comme une comète du jour bleu, comme une baguette de fée dans la brume d'une larme d'enfant.
C'était l'âme de Simone qui s'en allait pour son dernier voyage, en avion, à travers le grand ciel.
J'aime à penser qu'elle est partie heureuse, elle à qui le destin, pour ses derniers jours, fit la grâce d'offrir quelque chose à espérer et à attendre, qui éclaira sa vieille vie, à son instant suprême, de tout l'éclat de la jeunesse.