Un arbre
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C'est février, c'est hiver et c'est gris, c'est boueux, c'est si froid... on se promène, comme il convient, en forêt de Russy. Voilà qu'on aperçoit, de l'autre côté du chemin, un drôle de champignon... une crinière de feuilles, crépue comme un grand lierre, sur son pied de vieilles pierres.
On s'approche, évidemment.
Et bientôt on comprend. C'est un puits qui vit là, enraciné dans la clairière, un vieux puits sonnant l'ombre derrière ses grilles-rouilles, qui frémit dans le vent comme un arbre d'hiver.
On se penche pour voir, écartant le feuillage. On découvre enfin cette plaque à demi effacée :
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Il avait dix-sept ans, il s'appelait Bernard, il était éclaireur, il menait les Alliés perdus dans la forêt.
C'était un jeune de Molineuf ou de Saint-Nicolas, peut-être un élève du lycée Augustin-Thierry, qui savait mal l'anglais et connaissait les bois.
Il était fier d'avoir été choisi, il avait dix-sept ans, il était FFI, il marchait d'un bon pas, avançant vers demain, comme font les gamins quand ils jouent les héros. Jusqu'à la ville il marcherait ainsi, petit Poucet glorieux, à enjambées de dix-sept ans.
Soudain, parties de derrière la margelle, ces balles en rafales... ces soldats qui s'enfuient vert-de-gris... Il n'a pas eu le temps de se jeter dans les buissons, il est déjà tombé en arrière dans la boue. Son sang à flots s'en va dans l'herbe en source noire se mêler sous la terre à l'eau sombre du puits, aux larmes de sa mère. C'est fini. Il aura pour toujours dix-sept ans. Ses os vieilliront toujours jeunes, et son corps sans aimer sèchera dans la boue.
Il y en a partout, hélas, à chaque carrefour, à tous les détours du chemin, de ces bribes d'histoires, de ces tragédies de la guerre où la mort cabotine.
Mais un oiseau vient boire à la flaque de sang
une graine dans l'ombre agrippe tous ses ongles
et le temps doucement sur la trace du mort
plante un jardin de nids
et la plaque de bois se blottit dans la haie
pour écrire le mot paix avec les pierres de craie
de la margelle usée
du puits qui va profond
jusqu'au coeur de ce monde
chercher la vie
la vie qui va
comme l'oubli
la vie qui bat
comme un récit
la vie qui aime
comme un homme
pour qu'elle grandisse
et s'enracine
comme un arbre
sur le noir
comme un bouquet
pour après
comme un gamin
dans le matin.