La ville la nuit
La Loire devant l'hôpital - Nantes, quai Moncousu
"Je suis le pilote de la Pinta, venu pour vous aider. Dormez tranquille, je conduirai votre bateau cette nuit.."
(Joshua Slocum)
La ville la nuit, quand on la voit de l'hôpital, est si douce dans ses plis de lumière.
Le malade s'est levé de son lit. De la fenêtre il regarde les étoiles des hommes : astres rapides des voitures, comètes longues des grues lancées vers l'avenir, fusées des ponts tendus vers d'autres rives, hublots pâles des tours où toujours quelqu'un veille... Plus bas, penchant sa tête lourde, il voit le fleuve emportant le monde en reflets colorés, palpitants et tremblants - et ce chemin dans l'ombre qui s'en va sinuant sur le calme rivage.
Le malade sait bien qu'il ne dormira pas. Dans la grande paix nocturne de l'hôpital, où règne l'ordre qui doit accompagner ceux que la mort convoite, il regarde la ville, et c'est comme un champ de vagues aux sillons phosphorescents sous la Croix du Sud, où faire aller son rêve, caravelle égarée. Demain, qui sait ? il souffrira, demain, peut-être, il s'en ira dans la boîte de chêne. Mais tout est si paisible ce soir dans la chambre solitaire, face à ce coeur du monde où bat dans la nuit éternelle le sang vivant de la lumière, qu'il lui semble savoir ce qu'aurait été le bonheur.