L'échafaudage était habillé d'une vaste tente, sur laquelle on avait redessiné le bâtiment comme un décor de théâtre.
A peine si l'on distinguait encore la poignée luisante, et la forte serrure, de la porte de bois qui menait, derrière la fragile muraille de toile, aux coulisses du chantier, peuplées de poutres, de passerelles métalliques et de rudes ouvriers à l'ouvrage.
On recouvre ainsi désormais de grands voiles baroques les bâtiments en travaux des beaux quartiers, pour cacher l'effort si méprisé des travailleurs de l'ombre. Mais la porte... la porte qui toujours mènera de l'apparence à son envers, il faut bien qu'elle s'ouvre quand même quelque part, même à peine, n'est-ce pas ?
Cette porte de bois plantée dans son dessin m'a rappelé un conte inverse - exactement inverse -, lu autrefois dans un vieux livre que j'avais emprunté à la bibliothèque de mon école-, l'un des premiers que j'aie lu, à moins que je ne l'aie rêvé.
Il y était question d'un bonhomme qu'on avait dessiné à la craie. Il prenait vie dans le dessin qui l'avait jeté sur le papier, puis il s'emparait à son tour de la craie oubliée par le dessinateur. Muni de cette craie, il s'avançait hardiment dans le monde qu'on appelle réel. Et, chaque fois qu'il rencontrait un mur, avec sa craie, tout simplement, il ouvrait une porte dans ce mur. Il s'en allait ainsi, de mur en mur, ouvrant toujours des portes que son avancée refermait, traversant sans fin les rudes parois de ce monde et sans fin se heurtant de nouveau à elles.
Il m'est aujourd'hui impossible de me souvenir de la façon dont finissait l'histoire. Peut-être à la fin le bonhomme de craie se fracassait-il sur un dernier mur, ultime rempart du réel venant à bout du rêve ? Je ne sais pas. Je ne me souviens que de ces portes de craie s'ouvrant sur les murs sombres, et qui se refermaient derrière lui, l'obligeant à ouvrir encore, dans les murailles qui s'épaississaient, des portes toujours nouvelles et toujours plus fragiles.
Le livre me fascinait, je le lisais et le relisais, essayant d'en approfondir le mystère, dessinant moi-même à la craie, sur tous les murs qui se heurtaient à mon élan, des portes étroites et bancales qui refusaient de s'ouvrir. Et je réessayais toujours, incapable de me résigner, brisant ma craie sans force sur ma petite ardoise d'écolière maladroite.
J'avais dû le deviner, que le bonhomme à la craie était une métaphore de l'artiste, ce travailleur maudit, condamné à dessiner et redessiner sans fin les portes d'illusion qui pourraient mener de l'autre côté des murailles, tandis que derrière lui les remparts se referment, inexorablement indifférents à son effort.