Jouets
Blois, rue des Trois Clefs, Maison des Jouets
Dire qu'aujourd'hui, ce n'est plus qu'un banal magasin de chaussures.
Pour moi, c'est une façade à remonter pieds nus un matin de Noël le chemin sinueux du temps.
Il est toujours délicieux, et toujours douloureux, de revenir dans une ville d'enfance.
Nous y cherchons, toujours déçus et toujours éblouis, tous les petits cailloux des souvenirs, devenus ces miettes de nous-mêmes qu'emporte sans pitié le vent qui nous repousse. Et quand il ne reste plus rien, c'est les yeux grand fermés qu'il nous faut continuer à regarder - en-dedans...
Pourtant, rue des Trois Clefs un miracle de négligence - ou d'économie - avait préservé l'inscription, sur le côté. Son jaune années-soixante et sa flèche tentatrice et rougeâtre étaient restés presque les mêmes.
Tous les ans, en décembre, la vitrine s'illuminait, et se chargeait comme un astre de longs circuits de trains traversant des villages avec leurs épiceries, leurs gares, leurs chefs de gare, leurs moutons et leurs chiens, de vastes maisons de poupées à étages munies de baignoires et de télévisions, de deux-chevaux caracolantes et de quatre-ailes rêveuses, de camions de pompiers sans incendies et d'ambulances sans malades, d'usines à hélice en mécano vissé, de grands navires à découvrir l'Amérique, d'immenses boîtes de crayons Caran-d'Ache à dessiner le soleil et le ciel, pour les mouiller du bout du doigt comme la pluie qui passe.
C'était un monde, la vitrine aux jouets, dans la vieille maison médiévale de la rue des Trois Clefs, un monde entier suspendu dans la couleur dorée des jeudis soirs où l'on rentrait à la nuit tombée, après les courses de Noël, pour s'en aller attendre, au square glacé des arbres sombres, le car des villageois.
Nous nous arrêtions longtemps, à regarder, béats, le monde des jouets flotter dans la lumière, comme les passagers du Nautilus regardaient par la vitre le monde de la mer illuminé par les phares de leur sous-marin.
Pourtant, si on nous avait demandé lequel de ces jouets nous aurions aimé recevoir, nous n'aurions pas su répondre. Car en réalité, nous ne souhaitions recevoir aucun de ces jouets. Et si l'un d'entre eux quelquefois s'en venait jusque sous notre sapin, il nous décevait presque aussitôt ouvert.
Non, c'était ensemble qu'ils nous fascinaient. Comme si, dans ce monde entier qu'ils formaient, suspendus dans la lumière des néons, ils étaient devenus, d'être ainsi savamment exposés, l'essence même du jouet.
L'image réduite du monde compliqué et tourmenté des adultes, enfin dessiné à la juste proportion d'un regard d'enfant, enfin compréhensible, enfin parfait.
Qui sait si elles ne pourraient pas encore
nous les ouvrir, les grandes portes de corne
du rêve et du patient désir,
ces clefs qu'on a rangées,
rouillées, presque oubliées,
dans ce vieux coeur d'enfant
qui pour toute la vie
sera notre seul bien ?
Khachaturian plays "Andantino" (rare video)
originally published by www.meloclassic.com
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