On voit cela souvent, aux marges de la ville, dans ces béances où l'on construit : une maison fossile enfermée dans un mur, aplatie, écorchée et rugueuse, comme une cicatrice.
L'histoire est si connue : c'était, en banlieue, une rue de pavillons tranquilles, avec leurs petits jardins, leurs vieux et leurs enfants, leurs oiseaux et leurs chiens...
Un jour, la maison a tremblé : on démolissait les pavillons d'à côté pour bâtir des immeubles.
Elle a longtemps résisté, avec sa cheminée, et son petit jardin, ses vieux, ses enfants, ses oiseaux et ses chiens. Inquiète et isolée, elle a vécu ainsi, frêle et forte, accolée au vainqueur, luttant de toutes ses pierres et de toutes ses poutres pour ne pas s'écrouler.
Et puis, comme tout s'use, et surtout le courage, elle a fini par céder, par se vendre, par s'écrouler, par s'incendier - est-ce qu'on peut savoir quoi, maintenant qu'on l'a démolie ?
Qu'importe ? On va bâtir d'autres immeubles, toute une rue d'immeubles, un rempart haut et gris, triomphant.
En attendant, la maison reste là, dans le mur de béton, comme un dessin d'enfant sali, avec sa cheminée, son toit en pente douce, ses planchers qui craquaient, ses papiers peints roses et bleus, son air maladroit et naïf.
Demain viendront les grues, les bétonnières, les ouvriers casqués. Dans le béton et les parpaings on l'emmurera tout à fait, la maison d'autrefois, avec sa cheminée, son toit en pente douce, ses planchers qui craquaient, ses papiers peints roses et bleus, et son petit jardin, et ses vieux, ses enfants, ses oiseaux et ses chiens.
Qui l'entendra gémir, le vieux dessin d'enfant, broyé et lézardé, coulé dans l'avenir ?
L'histoire est si connue... et ainsi va la vie comme on la fait aller. On démolit, on rebâtit. Plus haut, bien plus solide. Mais il y a toujours quelque part, invisible, oubliée, une cicatrice, un coin emmuré du passé qui pleure et se lézarde au profond du béton.