La fontaine
Fontaine Wallace - Place de la Bourse - Nantes - 22 décembre 2014 à 16h30
Il y a longtemps que je souhaitais vous parler de ces fontaines de bronze. On les appelle "fontaines Wallace", parce que qu'un philanthrope nommé Wallace les a offertes un jour aux pauvres gens des villes. C'était après la guerre de 70 et le siège de Paris, quand l'eau manquait aux humbles, et c'était une belle action, de celles qui rafraîchissent et retrempent à sa source le coeur desséché d'égoïsme de notre âge de fer.
Mais qui prête encore attention à ces vieilles fontaines détrônées par chaque robinet ? Qui donc s'intéresse aujourd'hui à ces athlétiques cariatides portant sur leurs épaules tout le poids de Bonté, Simplicité, Sobriété et Charité ?
Pourtant, cette année, c'est arrivé comme un petit miracle : quelqu'un a honoré d'une guirlande notre fontaine Wallace de la place de la Bourse.
La guirlande est modeste, alourdie de sequins comme une Esméralda. Elle penche un peu du côté de Bonté - celle qui a les yeux ouverts.
Et vraiment c'est si beau, cette pauvre guirlande, sur le bronze sévère, c'est si généreusement vivant, cette ficelle rouge, face au vieux palais de la Bourse devenu temple du commerce, qu'on croirait que l'esprit de Noël vient de se poser là comme un oiseau, pour boire, en sans-abri qu'il est, au mince filet d'eau de l'ancienne fontaine.
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Hier soir, j'ai écrit ce texte. Et, ce matin, j'apprends qu'un automobiliste "fou", fonçant dans cette rue que borde la fontaine, trois heures exactement après que j'ai pris ma photo, a fauché dix personnes au marché de Noël, qui se tenait tout près.
La guirlande s'est tachée de sang. Les cariatides sombres emportent le cercueil des espérances mortes.
Et l'oiseau de Noël s'est envolé au loin dans la fureur du monde où se perd son chemin.
Fontaine, donne-nous encore à boire de ton eau qui ne se lasse pas. Ne va pas, surtout pas, ne va pas t'assécher.