Voilà que les jonquilles sont revenues. Depuis longtemps, au jardin, on voyait les tiges s'étirer, se lancer, se renfler, tisser des feuilles vertes, tresser de minces bouquets en espérance.
Et ce matin, les fleurs étaient toutes là, pensives, la tête un peu penchée, les pieds dans les feuilles mortes de l'hiver, et portant encore sur l'épaule le capuchon de peau usée du vieux bourgeon. Mais vives et jaunes et légères comme au premier jour, semblables à ce qu'ont toujours été les jonquilles naissantes et renaissantes.
C'est ainsi qu'en ce monde, toujours, tout recommence.
Mais pour nous qui passons, jamais ne reviendront les fleurs qui ne sont plus.
Le mal du temps, c'est le mal des humains.
Je me trouvais tout à l'heure à midi devant l'une des plus belles maisons du voisinage. Derrière le splendide monospace neuf des jeunes propriétaires, parents déjà sans doute, j'ai vu se garer une petite voiture grise à la peinture passée, à l'immatriculation antique. Puis j'ai vu en descendre un vieil homme, en casquette et en veste, avec des chaussures usées, un peu crottées, et un de ces pantalons de bleus délavés que portent seuls désormais les anciens ouvriers qui font encore leur jardin.
Sa casquette était grise sur ses cheveux gris, son corps maigre avait l'air de trembler au vent. Il tenait à la main un gros bouquet de jonquilles, enveloppées dans du papier kraft, qu'il avait certainement cueillies au jardin en partant, heureux du brusque retour des fleurs. Le don des premières fleurs... il faut beaucoup d'amour pour qu'un jardinier s'y résolve.
Le vieil homme s'est dirigé lentement vers la maison riche, avec ses jonquilles qui éclataient de soleil dans la rue sombre. Il s'est arrêté devant la porte, il a hésité un instant avant de sonner.
Lorsqu'on l'a fait entrer, il a tendu son gros bouquet jaune au-dessus du seuil de marbre, je n'ai plus distingué que l'emballage de papier kraft, si terne et bon marché, et son dos très voûté. Quelqu'un lui a dit d'essuyer ses pieds sur le paillasson, puis la porte s'est refermée.
Le mal de solitude, c'est le mal des humains.