Chemin des Chats pendus

Publié le par Carole

chemin-des-chats-pendus-2.jpg
 
"Nantes abrite dans ses vieux murs des rues et des chemins qui évoquent en noms chantants des petites folies : Farfadets, Feux follets, Fantaisie, le Petit Bacchus, et ce mystérieux chemin des Chats pendus"
Pierre Bernard-Brunet, Un Grand lycée de province
 
"Les chats se jettent en foule dans les pièges où ils sont pris, on en assomme quelques-uns, d'autres sont condamnés à être pendus." 
Nicolas Contat, cité par Robert Darnton in Le Grand massacre des chats
 
 
 
    Dans le village où je suis née, il y avait un chemin des Loups pendus. Pour s'y rendre on prenait par la route de Merlette, vers la Croix boissée, puis on passait la ferme de la Frissonnière, et on tournait dans le sentier des Ailes, en descendant vers le gué du Villay, sur le ruisseau de Flammessec. C'était à cet endroit, juste avant le gué, qu'on tendait autrefois des pièges aux loups. Ensuite on les pendait agonisants sur les chênes du Bois des Ailes. Et on les laissait là, puants totems que les buses et les pies démembraient.
    Si l'on bâtit un jour une ville dans les bois de Merlette, il y aura peut-être, sous les tours et les entrepôts, un mystérieux chemin des Loups pendus, comme il y a à Nantes, dans les replis du bitume, un mystérieux chemin des Chats pendus... Qui sait ? Qui peut le deviner, où passeront les sentiers tremblants des humains, quand nul ne se souviendra plus des chasseurs et des loups qui s'abreuvaient jadis au gué de Flammessec?
    J'ai repensé à ce chemin des Chats pendus quand j'ai appris, la semaine passée, la mort de monsieur Bernard-Brunet, mon ancien proviseur. J'ai repensé à ce bizarre chemin de mots rêveurs qu'il avait tracé un jour pour parler de son vieux lycée, suivant les petits cailloux d'une fantaisie que je n'avais pas soupçonnée sous son habit sombre...
 
 
    Il faut prendre, en venant de la Loire, par la rue des Alouettes, puis grimper un moment par le raidillon du Bois Hardy, tourner face à la Boucardière, avant le grand moulin de l'abbaye...
    Il y avait autrefois sur ce pan de colline tout un coin de village, fleuri d'oiseaux et parfumé de ronces, caquetant de dindons et d'enfants, avec son bout de bois, son beau brin de ruisseau, et son moulin grinçant, et ses prairies à vaches. 
   C'était là que vivaient la mère Michel et le père Lustucru, les ramasseurs de peaux de chats, les gras cuisiniers filous qui mijotaient en plaisantant leurs civets de lapin. Et tant de rudes paysans qui faisaient quelquefois grand massacre de chats, et les pendaient aux branches avec les loups, afin de faire peur au démon, à la chasse Galerie, et à la peur elle-même...
   De tout cela, qu'est-il resté ? Quelques maisons basses et moussues au milieu des immeubles, des arbres à chevelures d'ancêtres gondolant les trottoirs, et ce vieux nom des Chats Pendus, un drôle de nom dont la ville n'a pu venir à bout, et qui résiste encore, comme un petit caillou de mémoire, un grain de sel des anciennes pièces de la foire et des charivaris, une motte de glaise grasse sous le goudron des routes, un miaulement de carnaval, une tache de sang mêlée au gazon bien tondu, quelque chose d'imperceptiblement encore là.
 
    La ville a beau se croire toute neuve et se rhabiller de béton, elle n'est qu'une vieille peau, où le temps a laissé tous ses plis. Un parchemin gratté et regratté, où l'on parvient encore à lire par bribes des histoires effacées que l'on ne comprend plus. Un palimpseste, où les vies d'aujourd'hui s'écrivent avec les mots d'hier, pour que demain se rêve encore.
    Que les morts marchent encore près de nous, de leur pas de flâneurs, par les gués et les prés recouverts de bitume.
    Et que nous le suivions, au bois de Fantaisie, le vieux chemin des mots englouti par la ville.

 

Publié dans Nantes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Bonsoir Carole ! Ces "chats pendus" tout de même un peu glauques ne seraient-ils pas de simples anciens "champs pentus" comme dans village de Pamfou en Seine et Marne où on trouve en effet une<br /> route de Chapendu ?? Amitiés, Christiane
Répondre
C
<br /> <br /> Pourquoi pas ? Il y a un peu de pente en effet puisque le lieu se trouve sur un côteau de Loire. Ce serait très joli. Et finalement cela confirmerait mon impression de campagne en pleine ville.<br /> Il faudrait se pencher sur les archives, et convoquer un étymologiste, car l'ancienne langue de Loire-Atlantique n'est pas tout à fait celle de Seine-et-Marne.<br /> <br /> <br /> Merci pour cette intéressante suggestion.<br /> <br /> <br /> PS : une rapide recherche m'amène à une interprétation de "Chapendu" (Seine-et-Marne) à partir du celtique "Cha-pen-du"qui signifierait "début de forêt noire", or, c'est justement dans le<br /> quartier où se trouve ce chemin qu'était installée au XIXe siècle la communauté bretonne et ouvrière de Nantes... nouvelle hypothèse...<br /> <br /> <br /> Mais, ayant connu des "loups pendus", et après lecture du livre sur "le massacre des chats" je pense qu'il ne faut pas exclure trop vite l'option "glauque". <br /> <br /> <br /> <br />
A
Bonjour,<br /> <br /> Les chats pendus m'ont conduit sur votre blog. Merci pour vos pages. Je vais repasser.<br /> Je vous cite sur<br /> http://lefenetrou.blogspot.com<br /> dans un de mes derniers articles sur Nantes
Répondre
C
<br /> <br /> Merci beaucoup. Je suis passée un peu chez vous à mon tour, et j'ai été très intéressée. Vous semblez connaître Nantes dans ses moindres détails. Je repasserai moi aussi chez vous, car l'heure<br /> tardive ne me laisse plus assez de temps. <br /> <br /> <br /> <br />
J
Super ...Je connais " chemin des chiens noyés"<br /> Pas très gai tout ça…<br /> Bonne soirée
Répondre
G
je connaissais les chiens perdus...sans collier
Répondre
E
Tu es le troubadour qui perpétue les souvenirs de la petite histoire qui fait la Garande Histoire.<br /> Il n'est pas possible de se séparer de son passé qui est la trame du présent.<br /> J'aime beaucoup ce parcours.<br /> Belle soirée Carole
Répondre
J
C'est fabuleux de connaître l'origine des appellations. Combien de fois me suis-je interrogée devant tel ou tel nom ou groupe de mots étranges. La vie n'avait rien de tendre à l'époque mais tu<br /> parviens à lui donner des lettres de noblesse par tes écrits taillés avec style et sensibilité. Amitiés. Joëlle
Répondre
Z
des noms "chantonnants" pour des réalités.....
Répondre
N
Après la lecture, ce n'est pas fini. On rêve, restent des images, et tout une atmosphère d'un temps ancien.
Répondre
C
<br /> <br /> Alors tant mieux, si ce n'est pas fini ! Merci Nounedeb.<br /> <br /> <br /> <br />
F
Il est bon de garder le nom des vieilles rues, chemins ou autres passages, grâce à eux on peut avoir des bribes de l'histoire de nos aïeux, en l'occurrence,ce nom de chemin m'a appris une chose que<br /> je ne connaissais!Merci à toi et ainsi, nous pouvons relativiser sur la violence actuelle!!Serions-nous civilisés?? pas sur, mais en France, je pense que l'on ne pend plus les chats et les loups<br /> (sauf quelques mécréants qui n'aiment pas les animaux!! BISOUS FAN
Répondre
E
tu as une plume magnifique, Carole, digne de nos grands écrivains
Répondre
C
<br /> <br /> Ne me fais pas rougir comme ça, Emma...<br /> <br /> <br /> <br />
A
La ville engloutit les vieux souvenirs, les vieux pavés, les vieux noms, les vieilles coutumes, dans un branle-bas dont nous n'avons pas vraiment conscience. Mais un nom de rue insolite pour nous<br /> restitue d'anciens personnages et d'anciens métiers, comme ce Chemin des Chats pendus sur lequel on s'interroge: ils avaient donc l'écorce bien rude pour égorger les chats, nos ancêtres? Et nous<br /> voilà battant la campagne et nous interrogeant sur l'évolution des sensibilités, les coutumes d'une époque, le mystère qui retombe, comme un voile...Merci, Carole, de toujours nous intriguer et<br /> nous ouvrir l'évasion vers un passé brumeux...<br /> Lorraine
Répondre
C
<br /> <br /> battre la campagne, c'est bien mon projet, à tous les sens du terme ! merci, Lorraine.<br /> <br /> <br /> <br />
A
J'habite en banlieue et pourtant fleurissent dans ma ville ces noms de rue qui évoque un autre temps, celui de la ruralité: Rue du Puits mi-ville, rue des fossés trempés, rue du petit bois, rue de<br /> la croix des marais, etc...A l'instar des portes cochères qu'on trouve encore par-ci, par-là, de notre moulin juché fièrement sur la colline ces noms de rue, témoins du passé, me réjouissent!
Répondre
M
Qu'ils sont beaux ces souvenirs d'antan.. comme il est doux de marcher sur les sentiers où nos ancêtres ont mis leurs pieds. J'aime beaucoup ce texte.. Merci Carole
Répondre
J
Bonjour Carole, pas tendre hier avec les loups... Merci pour cette lecture encore, jill
Répondre
R
Que sont agréables à entendre à voix haute tous ces toponymes qui fleurent bon les temps anciens.<br /> <br /> Augustin Meaulnes n'est pas loin ...
Répondre
C
<br /> <br /> Je n'en ai inventé aucun. <br /> <br /> <br /> <br />
C
Un petit parfum proustien avec ce texte qui évoque la magie des noms de lieux.
Répondre
A
Heureusement que notre passé et nos légendes nous ont laissé leurs traces, qui nous intriguent, comme un jeu de piste.<br /> Ces noms de rues, même s'ils nous étonnent aujourd'hui sont là pour nous rassurer et nous rappeler, dans nos cités de béton sans âme, que nous sommes bien encore et toujours sur cette même planète<br /> peuplée d'humains.
Répondre
C
<br /> <br /> Un jeu de piste, et bien des chemins à retrouver.<br /> <br /> <br /> <br />
O
Mais oui, le passé était aussi cruel que le présent. Au moyen-âge les chats adorés à d'autres époques ont été considérés comme des animaux diaboliques associés à la sorcellerie leurs maîtresses aux<br /> "différences" inquiétantes.
Répondre
C
<br /> <br /> Je crois que ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que la peur hantait les vies.<br /> <br /> <br /> <br />