Donjon ruiné
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Cette vieille carte postale, je l'ai trouvée hier, au vide-grenier des "cartophiles"... Une vue du château de Vendôme, sur un étal de Nantes... c'était tellement inattendu, cela remuait tant de choses oubliées...
On lisait au verso ce message laconique et tragique :
Sur la photographie la vieille ruine, perchée sur cette butte qu'à Vendôme on appelle "la Montagne", semblait grise et lugubre derrière son rideau d'arbres sombres – sombres comme la crise comme la guerre comme la haine comme l'angoisse de cette année 33.
Dans ce donjon herbeux à demi écroulé, j'ai vu, enfant, au temps où la visite était encore possible, d'affreuses oubliettes qui m'ont valu bien des nuits hantées. Je crois même, en y réfléchissant, que c'est là, précisément là, que j'ai découvert le mal. Devant ce trou profond et noir. Quand j'ai compris qu'on y jetait des hommes tout vivants.
Affaires mauvaises. Bons baisers de l'été 33. Il avait dû le trouver sinistre, le vieux château là-haut, au jour mauvais des affaires mauvaises, celui qui avait écrit ces mots. Une larme semblait avoir roulé sur le carton taché d'humidité. Versée là-bas sans doute, rue Alfred de Musset à Nantes, où le facteur avait porté le message.
Je l'aimais bien, pourtant, cette haute ruine échevelée de corneilles et de lierre, quand je grimpais l'été sur la Montagne, faisant rouler sous mes pieds d'écolière des cailloux de craie poussiéreuse. Elle était gaie alors, légère et bienveillante, crénelée de nuages très blancs, sous l'ombre bleue du ciel, aux vacances immenses.
Ombres et lumières dorment ensemble tête-bêche au fond de nos mémoires, ces vieux donjons ruinés.
Il y a là-dedans de longs souterrains noirs qu'il faudrait songer à murer. Et des pentes heureuses qu'on voudrait regravir en rêvant.
J'ai acheté la carte postale.