Plage

Publié le par Carole

Plage
Une plage, c'est un morceau du monde. C'est un monde. Il y a les familles chargées de sacs et de jouets, et les femmes seules aux seins nus, les enfants bâtissant des chimères aux airs de forteresse, et ceux qui veulent apprendre à combattre les vagues. Il y a ceux qui lisent, il y a ceux qui dorment. Ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Ceux qui marchent et ceux qui attendent. Ceux qui rougissent et ceux qui sont déjà si hâlés qu'on ne sait plus ce qu'ils viennent encore demander au soleil. Ceux qui vendent et ceux qui achètent. Et même ceux qui volent au-dessus des autres, dans des petits avions agitant des banderoles publicitaires.
 
Cet après-midi-là il y avait aussi l'homme à la canne. 
Il était venu seul, traînant sa chaise, s'appuyant sur sa canne. Et il s'était assis face à la mer qui montait lentement, regardant, là-bas, les bateaux, les nageurs, l'horizon et les îles. Regardant devant lui les vagues lentes et obstinées qui montaient avec la marée et redescendraient avec elles.
Il est resté là longtemps, très longtemps, à contempler la mer. Un vieil homme habillé de bleu face au bleu du lointain, sa canne accrochée comme une ancre dans le sable si fin qui s'envolait au vent. Sans parler, sans dormir, sans bâtir et sans lire. Sur le fil d'écume du rivage. A regarder la mer monter. A regarder la mer descendre. A scruter l'horizon pour y trouver son île, ou bien le clair bateau qui mène tout là-bas, où vont un jour les vieux appuyés sur des cannes qui regardent la mer.
 
Une plage est un monde. Le monde est une plage. Le monde est un rivage surpeuplé où nous ancrons nos vies dans le sable qui fuit. Mais si peu ont la force de contempler la mer, rien que la mer,  sans détourner les yeux.
 
 

Publié dans Fables

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
y a du Edward H là
Répondre
M
Celui-là me plait beaucoup, à moi qui ne sais pas rester allongée sur une plage et ne vais à la mer que pour me baigner et m'en aller aussitôt après!
Répondre
Q
Je devais être assise un peu plus loin, car j'ai peur de l'eau... mais je regardais la mer aussi.<br /> Je ne m'en lasse pas, même s'il m'arrive aussi de regarder les gens, de temps en temps. :)<br /> Très belle page, Carole.<br /> Bises et douce journée.
Répondre
N
Il était venu seul...mais il n'était pas seul; Invisible, à ses côtés, celle qu'il avait tant aimée et que la mort avait emmenée. Et tous deux se disaient des mots d'amour...en silence, sans se lasser.
Répondre
N
Un quatuor de bleus: le ciel, la mer, la chemise, le chapeau. Peut-être son âme en était-elle bleue, elle aussi.
Répondre
J
La mer me fascine. Comme ce personnage assis je la regarde longtemps, je l'aime et la crains pareillement. C'est, de mes sens, le dernier refuge immobile et mouvant pour rêver.
Répondre
R
Regarder le monde, regarder les gens est bien différent de voir le monde, de voir les gens car au contraire de "regarder" qui est in fine la manière la plus élémentaire d'appréhender les êtres et les choses, "voir" ressortit à un processus plus complexe, plus profond aussi à mon sens grâce auquel l'on tente de percevoir l'essence même du monde, l'essence même des choses et des êtres ...
Répondre
C
Sans doute faut-il d'abord regarder pour... voir - ou entrevoir ?
A
A te lire, on a également l'impression que, d'un côté il y a "le monde", cela qui est banal, ordinaire, sans rien qui vaille d'être observé ou retenu ; et de l'autre, il y a un individu spécial, pas comme les autres, qui lui, suscite intérêt et attention... La mer alors n'est qu'un prétexte !
Répondre
A
C'est vrai, en effet, tu regardes vraiment les gens... Et c'est tout ton mérite car tu les "pénètres" vraiment dans leur intimité.
C
Il a suscité mon attention parce qu'il ne s'intéressait qu'à la mer, contrairement aux autres. Mais cela ne veut pas dire que moi, je trouve "le monde" sans intérêt. Je ne fais pas partie, après tout, de ceux qui passent leur temps à regarder la mer, puiisque je regarde... les gens.
F
Une plage est un monde. Le monde est une plage. Le monde est un rivage surpeuplé où nous ancrons nos vies dans le sable qui fuit. Mais si peu ont la force de contempler la mer, rien que la mer, sans détourner les yeux. Merci Carole, j'adore ta philosophie poétique!!Bisous Fan
Répondre
L
Regarde-t-il la mer, cet homme libre cher à Baudelaire, ou contemple-t-il les replis secrets de son âme dans l'immense miroir liquide qui roule et se déroule infiniment devant lui?
Répondre
L
perso, je peux la contempler des heures sans détourner le regard
Répondre
A
Une plage comme un mirage, ce sable auquel on s'accroche et qui ne nous retient pas et ton très beau texte, poème devrais-je dire va au rythme des reflux de l'eau.
Répondre
J
Il est beau ton Robinson sur sa portion de plage, de monde, le temps d'oublier sa solitude à la maison... merci, jill
Répondre
C
Une plage... monde en suspension entre l'or et azur...<br /> Fuite du temps, mille et une personnalités se croisent. Certains visiteurs se regardent,d 'autres s'ignorent et ce monsieur, passager d'un moment bleu, nous attire vers sa solitude inspirée. <br /> Très bel instant de plume, merci Carole<br /> Bonne rentrée<br /> Cendrine
Répondre