Plage
Une plage, c'est un morceau du monde. C'est un monde. Il y a les familles chargées de sacs et de jouets, et les femmes seules aux seins nus, les enfants bâtissant des chimères aux airs de forteresse, et ceux qui veulent apprendre à combattre les vagues. Il y a ceux qui lisent, il y a ceux qui dorment. Ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Ceux qui marchent et ceux qui attendent. Ceux qui rougissent et ceux qui sont déjà si hâlés qu'on ne sait plus ce qu'ils viennent encore demander au soleil. Ceux qui vendent et ceux qui achètent. Et même ceux qui volent au-dessus des autres, dans des petits avions agitant des banderoles publicitaires.
Cet après-midi-là il y avait aussi l'homme à la canne.
Il était venu seul, traînant sa chaise, s'appuyant sur sa canne. Et il s'était assis face à la mer qui montait lentement, regardant, là-bas, les bateaux, les nageurs, l'horizon et les îles. Regardant devant lui les vagues lentes et obstinées qui montaient avec la marée et redescendraient avec elles.
Il est resté là longtemps, très longtemps, à contempler la mer. Un vieil homme habillé de bleu face au bleu du lointain, sa canne accrochée comme une ancre dans le sable si fin qui s'envolait au vent. Sans parler, sans dormir, sans bâtir et sans lire. Sur le fil d'écume du rivage. A regarder la mer monter. A regarder la mer descendre. A scruter l'horizon pour y trouver son île, ou bien le clair bateau qui mène tout là-bas, où vont un jour les vieux appuyés sur des cannes qui regardent la mer.
Une plage est un monde. Le monde est une plage. Le monde est un rivage surpeuplé où nous ancrons nos vies dans le sable qui fuit. Mais si peu ont la force de contempler la mer, rien que la mer, sans détourner les yeux.