Nymphéas

Publié le par Carole

Nymphéas
A Giverny, le bassin aux nymphéas était bordé de touristes plus nombreux que les rameaux pêcheurs du grand saule pleureur. On m'avait dit que ce serait pénible, que le lieu était désormais trop fréquenté, gâché de foule et de photographies.
Pourtant, les nymphéas étaient bien là, intacts, à nous regarder chacun de leurs yeux grands ouverts, et j'ai trouvé merveilleux que tant de gens se déplacent - et de si loin souvent - pour visiter cet étrange musée de reflets et de fleurs d'eau si fragiles qu'elles ne s'épanouissent qu'à l'instant de mourir.
Je me suis dit que c'était cela, précisément, que nous avait apporté le grand Monet dans sa série finale des Nymphéas : cette évidence si nouvelle et pourtant si ancienne, que la seule permanence à saisir et l'unique mystère à approfondir pourraient être l'éclosion d'une fleur, l'ombre passagère d'un pétale, la décomposition fugace de la lumière courant sur ses reflets comme une eau éternelle.
Qu'une telle découverte n'était pas seulement picturale. Que c'était autre chose. Une méditation nous ouvrant le chemin d'une pensée aussi intranquille qu'une eau qui passe en brisant ses reflets, aussi douce et paisible qu'un nénuphar grandissant sur ses tiges défuntes.
Et puis dans la maison, en voyant les photos de la famille du peintre, je me suis souvenue qu'il avait perdu, précisément à cette époque des Nymphéas, sa seconde femme, Alice, qu'ensuite il avait perdu Jean, l'enfant que lui avait laissé Camille, morte autrefois si jeune, puis qu'une guerre ogresse avait entrepris de dévorer son pays, et que, tandis qu'il peignait ses grands nénuphars, il pleurait sur tous ceux qui dormaient dans la boue, et leur offrait ses fleurs, ses reflets et ses ombres, en manière de tombeau, en ronde de berceau. 
Et j'ai pensé que nous, peut-être, les touristes insouciants, les touristes en foules, nous venions en réalité dans ce jardin en pèlerins, mettre nos yeux inquiets dans les vieux yeux brouillés de larmes, de lumière, et de couleurs tournoyantes, de celui qui savait, et qui nous guide encore, au long de ce grand tour qu'il faudra bien un jour achever en nous-mêmes.
 
Nymphéas

Publié dans Fables

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G
ton texte aussi beau que les Nymphéas
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L
Très beau texte, et magnifique réflexion sur une forme de transmission, au travers de l'art. Je sens que je vais aller piocher de-ci de-là dans ce blog...<br /> :-)
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C
Votre texte sur les Nymphéas : comme un "tombeau" aux morts aimés. Superbe !
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M
Un lieu enchanteur dont la magie nous prend pour peu qu'on oublie la foule et qu'on se laisse porter, qu'on essaie de se représenter le regard du peintre sur sa nature!
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Q
J'aime Giverny, en particulier les jardins, et bien sûr celui d'eau, celui où nous pouvons admirer ces nymphéas qu'il a peint de nombreuses fois.<br /> <br /> Je crois que j'oublie le monde qui passe, que je m'évade hors du temps.<br /> Il suffit de laisser libre cours à ses propres pensées, à ses rêves, ceux que l'on fait aussi dans ses tableaux.<br /> <br /> Merci pour ces moments partagés, Carole.<br /> Passe une douce journée.
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A
Un pèlerinage que je n'aurai jamais le courage de faire. J'ai bien trop peur de trébucher sur des images qui troubleraient la vision parfaite que j'ai de ce jardin ! Merci Carole d'avoir osé pour moi. <br /> Je me permets ces quelques mots :<br /> http://laperluete.canalblog.com/archives/2016/05/10/33789928.html
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F
Un lieu merveilleux envahi par les touristes qui rêvent de ce jardin d'Eden!! Les nouveaux propriétaires prennent le soin de garder et d'entretenir ce lieu magique et en tant que peintre, c'est le grand atelier où les touristes affluent que je me suis imprégnée des ondes de l'artiste en me reposant sur le canapé qui trône dans ce lieu!!! J'espère que tu as fait une visite dans les autres ateliers!!!Bisous Fan
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B
J'aime beaucoup votre texte. Je crois que vous avez raison : on va à Giverny en pélerinage.<br /> Bonne fin de dimanche.
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A
Un inextricable enchevêtrement végétal : immense jardin d’eau aux tonalités mauve bleuté, traversé par endroit d’herbes aquatiques, lianes immatérielles étranges, ondulant sur le fond. Des rameaux de saules plongent dans le liquide. Parfois, un coup de vent en fait frémir la surface parcourue de grosses fleurs de nénuphars blancs, jaunes ou rouges s’ouvrant dans la clarté du jour et se refermant le soir. Tout bouge. Tout vit. <br /> Les Nymphéas sont le dernier travail de Monet dont il fit don à l’Etat. Il voulut aller encore plus loin : supprimer la ligne d’horizon, fondre les plans, oublier la perspective. Le ciel est absent, seul sa réflexion sur l’onde est visible. Les formes disparaissent, les éléments du décor deviennent fluides et se dissolvent les uns dans les autres, sans contrainte. La couleur est libérée de tout obstacle dans une vaste abstraction. <br /> L’apparence éphémère des choses…
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J
La douleur a, semble t'il, magnifié son oeuvre mais c'est cette dernière qui l'a sûrement sauvé. Merci pour tes paroles si douces et profondes. Bon dimanche à toi. Amitiés. Joëlle
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M
Oh Carole!<br /> Merci pour toute cette beauté en mots et images. J'ai trois projets de tableaux avec des nymphés. Monet, sera dans mes pensées. Mais y seras également.<br /> Merci pour cet instant magnifique pour ce dimanche pluvieux et gris ici<br /> Douce journée à toi Carole<br /> A bientôt ( mon été promet d'être de nouveau studieux comme celui de 2016 et 2015. Soupir.. heureux car j'aime ce que je fais... mais soupir quand même. :) :) )
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A
Tes photos sont aussi belles que ton texte, tout en nuances et réflexion. Je n'ai jamais eu l'occasion d'aller à Giverny, mais je passais des journées entières devant les nymphéas au musée du Jeu de Paume, en immersion.
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N
Ton regard profond invite à regarder à nouveau ces toiles de Monet,ou leurs reproductions quand on ne peut faire mieux. S'en nourrir autrement, grâce à ta méditation. Merci!
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R
Quelle remarquable réflexion, quelle superbe méditation !<br /> Merci Carole ...
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J
Bonjour Carole, pour ma part je n'y suis jamais allée dans ce lieu qu'appréciait Monet... lieu de pèlerinage comme on va à Lourdes... Il a eu des malheurs et connu la guerre, tout grand peintre qu'il fut, merci...
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