Violence
C'est très violent, souvent, ce que disent les enfants. Aussi violent que ce qu'ils vivent.
Tout à l'heure, dans le tramway, une classe d'école primaire est montée avec fracas.
Ils font un bruit immense, ces petits êtres, lorsqu'ils sont réunis, car ils parlent sans cesse et sans cesse ils se parlent - et ils nous étourdissent, car nous, adultes, ne savons plus ce que c'est que parler, se parler, tout dire et tout se dire.
Quelques enfants s'étaient placés près de moi.
J'ai d'abord entendu le plus petit, le plus frêle. Il parlait à deux plus grands, plus vigoureux :
—C'est un soldat, ma maman. Et ma mamie, c'est deux soldats. Elle me bat... comme ça... Elle me donne des coups de poings... Moi, je suis pas un soldat.
—T'en fais pas, on va t'entraîner...
—Ma mamie, c'est deux soldats. Et mon papa, c'est mille soldats. Et mille, c'est encore plus que dix mille. Mon papa, c'est mille soldats. Moi, je suis pas un soldat.
—On va t'entraîner... Kevin, il a des bombes dans ses poches, ça peut être très utile. Et moi, j'ai des épées qui sortent de mes mains. Des épées magiques...
—Je suis pas un soldat...
La fin de la conversation, je ne l'ai pas entendue, car nous étions arrivés à mon arrêt et j'ai dû descendre.
Je me suis dit qu'il y avait toute la violence du monde, dans ces paroles d'enfants. Celle qu'on subit. Celle qu'on veut infliger en retour. Toutes les humiliations, toutes les résignations, et toutes les révoltes. Tous les malheurs des hommes. Toute la violence du monde. La violence qui se sème et se cultive si aisément, mais qu'on n'éradique plus ni des coeurs des victimes ni de celui des bourreaux.
Et je les ai haïs, tous, la mère, la grand-mère et le père, toute la famille soldat acharnée à blesser cet enfant qui ne voulait pas faire la guerre.