Songe d'une lune d'été

Et la danse avait commencé. Maladroite d’abord, si pure bientôt, si aisée. Les ombres allaient et venaient, bondissantes, transparentes, s’affairant, auprès de machines inconnues, à des choses incompréhensibles, mais qui semblaient graves et urgentes dans l’échange incessant des bips et des voix étrangères. Elles avançaient, bondissant toujours, dans une étendue triste de sable gris semée de trous circulaires qui semblaient le résultat d'impitoyables bombardements, avec l'élégance des acrobates oubliant tout du sol sur le trapèze qui les emporte au ciel.. C’était beau, autour de moi on ne cessait de s’exclamer, et mon grand-père filmait encore. Pourtant je m’étais sentie un peu effrayée, à les voir si légers au milieu de leur désert obscur, ces héros pour lesquels on nous avait tirés du lit. Le présentateur se réjouissait, l’humanité venait, disait-il, de faire un immense progrès. Et l’on poussait des cris de joie. On s'appelait dans les rues, des fusées de cheminots éclataient à la gare. Le monde était infini, l’avenir sans limite. Moi, je plissais fort les yeux, je savais qu’il faudrait que toute ma vie je me souvienne de ces images et de ces mots d’une nuit de juillet. Car j'avais appris beaucoup ce soir-là. J'avais appris que l’humanité est forte, courageuse et belle, capable d’aller sur la lune, de s'y mouvoir avec l'aisance qui n'appartient qu'aux dieux et aux danseurs de cordes, capable aussi d'admirer ses héros, de tirer d'eux sa joie et son amour de l'avenir. Mais j'avais découvert, en même temps, qu'un homme, même le plus célèbre, même le plus vénéré, même casqué et revêtu d'une armure de cosmonaute, n'est guère, vu de là-haut, qu’une petite chose fragile et légère, une ombre à peine distincte sur un écran brouillé. Aujourd’hui mes grands-parents sont morts, et leurs jeunes voisins de Guéret sont devenus de tremblotants vieillards. Et toi, Neil Armstrong, qui fus la gloire de la science et l'espérance d'une époque, tu t’es définitivement envolé vers la lune. Tu étais si grand, tu étais si léger. Comme l’humanité. 26 août 2012