Pianos
J'étais arrêtée au feu qui fait l'angle de la rue de la Mainguais, juste sous le mirador de cette grande prison neuve qu'on a bâtie aux marges de la ville, quand, levant un instant les yeux, j'ai vu passer, très haut, bien plus haut que le mirador, tout un vol d'oiseaux merveilleux. C'était une troupe de nuages poussés par le vent, qui glissaient sur les grandes lignes blanches et parallèles que des avions avaient dessinées sur l'air bleu. On aurait cru une portée de ciel, promenant dans les airs une mélodie légère et silencieuse, plaçant ses mesures mystérieuses entre les filets de vapeur condensée.
Mais sur terre le feu est passé au vert, le flot des voitures m'a brutalement poussée, et je n'ai pu m'arrêter que bien plus loin, mal garée sur un arrêt d'autobus.
Il n'y avait évidemment plus rien à photographier. Dans le ciel le vent avait effacé les lignes de la portée, et les nuages effilochés, errant seuls et sans direction, tombaient en se froissant dans le beau néant bleu, comme des bouts de chansons abandonnés dans la corbeille par le Compositeur distrait. J'allais repartir, quand, devant moi, j'ai vu, soudain, le mot PIANOS. J'avais pris la route que m'indiquaient les nuages ; ils m'avaient entraînée dans un coin inconnu et particulièrement rébarbatif de cette banlieue industrielle où j'évite toujours, d'habitude, d'aller me perdre. Mais c'était vrai, on vendait des pianos tout près, dans un hangar gris, près d'un affreux entrepôt de meubles, sous les pylônes hérissés de câbles, au bord des containers rouillés. Des pianos... ici... ! Et des pianos de toutes les couleurs, des pianos blancs, des pianos rouges... Je l'aurais toujours ignoré si je n'avais suivi, sans hésiter, depuis le mirador, la mélodie du ciel... C'est peu de chose, ce parcours de banlieue que je vous raconte là, une anecdote infime... Il n'y a rien de surprenant, je le sais, à ce que les marchands de musique s'installent à la périphérie des villes, quand les loyers sont chers - et puis, bien sûr, la photo est manquée... Mais je voulais vous le dire, tout de même : ces nuages chantonnant par-dessus les prisons, ces routes vaporeuses tracées par de lourds avions, ces pianos colorés dans des entrepôts tristes, et ce chemin surtout, sous les hautes portées de brume - c'était le frêle chant du monde, l'appel fragile de la beauté, s'en venant jouer pour nous, quand nous n'y pensions plus, son petit air tranquille.
Il n'y avait évidemment plus rien à photographier. Dans le ciel le vent avait effacé les lignes de la portée, et les nuages effilochés, errant seuls et sans direction, tombaient en se froissant dans le beau néant bleu, comme des bouts de chansons abandonnés dans la corbeille par le Compositeur distrait. J'allais repartir, quand, devant moi, j'ai vu, soudain, le mot PIANOS. J'avais pris la route que m'indiquaient les nuages ; ils m'avaient entraînée dans un coin inconnu et particulièrement rébarbatif de cette banlieue industrielle où j'évite toujours, d'habitude, d'aller me perdre. Mais c'était vrai, on vendait des pianos tout près, dans un hangar gris, près d'un affreux entrepôt de meubles, sous les pylônes hérissés de câbles, au bord des containers rouillés. Des pianos... ici... ! Et des pianos de toutes les couleurs, des pianos blancs, des pianos rouges... Je l'aurais toujours ignoré si je n'avais suivi, sans hésiter, depuis le mirador, la mélodie du ciel... C'est peu de chose, ce parcours de banlieue que je vous raconte là, une anecdote infime... Il n'y a rien de surprenant, je le sais, à ce que les marchands de musique s'installent à la périphérie des villes, quand les loyers sont chers - et puis, bien sûr, la photo est manquée... Mais je voulais vous le dire, tout de même : ces nuages chantonnant par-dessus les prisons, ces routes vaporeuses tracées par de lourds avions, ces pianos colorés dans des entrepôts tristes, et ce chemin surtout, sous les hautes portées de brume - c'était le frêle chant du monde, l'appel fragile de la beauté, s'en venant jouer pour nous, quand nous n'y pensions plus, son petit air tranquille.