Les 47 morceaux du pot de chambre de Beethoven
Scène du Théâtre - Saint-Nazaire, le 21 septembre 2013, en attendant Ivry Gitlis...
J'ai eu la chance, la grande chance, de voir et d'entendre Ivry Gitlis au Théâtre de Saint-Nazaire, samedi dernier.
Il n'avait guère envie de jouer, ce soir-là, le très vieil homme, et il s'est longtemps, très longtemps fait attendre, nous abandonnant à la contemplation d'une scène aussi vide que rougeoyante de promesses. Puis il est enfin entré, et, reposant aussitôt son violon dans sa boîte, il nous a raconté quelques anecdotes aussi décousues et bouffonnes que profondes et pleines de sens... Celle du pot de chambre de Beethoven, par exemple... :
Enfant, Liszt aurait rendu visite à Beethoven, qu'il considérait comme un Dieu. Or, de cette visite exaltante, seuls deux souvenirs lui étaient restés : celui des "machines à écouter" du sourd génial, et celui du grand pot de chambre qui trônait sur une table. Un dieu et un pot de chambre... - curieux, non ? mais c'est ce que disait l'histoire... Lizst l'a racontée à son élève Rosenthal, qui l'a racontée à ... qui l'a racontée à Ivry Gitlis, et je vous la raconte à mon tour, telle que je l'ai entendue.
Il faut quarante-sept morceaux de bois pour fabriquer un violon, nous a ensuite expliqué Ivry Gitlis, et ce bois, il faut le prendre dans les sombres forêts des Dolomites pour faire un véritable, un lumineux violon de Crémone... Il a bien dit quarante-sept... - curieux, non ? on lit partout que c'est soixante-et-onze...
Enfin, il a joué, et c'était bien Ivry Gitlis, le merveilleux Ivry Gitlis, et non plus le vieillard clownesque de tout à l'heure, qui était là, devant nous.
Car il avait raison, Ivry Gitlis, et le jeune Liszt ne s'y était pas trompé non plus : il faut quarante-sept morceaux de bois terrestre pour faire le violon d'un ange, et quarante-sept morceaux de vile humanité, de triste humanité, d'humanité bouffonne, d'humanité vieillie, d'humanité misère, d'humanité pot de chambre, pour faire un dieu. Peut-être même soixante-et-onze.
Paganini: Violin Concerto No.2 in B minor, Op.7 - 3. Rondo à la clochette, 'La campanella' Ivry Gitlis - Portrait-