L'absent

Ensuite comme tant d'autres, à petits pas tristes et voûtés, il s'était absenté du monde pour ne plus séjourner que chez Maladie, sa terrible compagne. Et nous n'y avions plus pensé. Cependant, derrière la vitre qui se mouchetait de poussière, le papier a passé l'été, puis l'automne et l'hiver, il s'est un peu tordu, un peu décoloré, un peu décollé. Lui aussi aurait bien voulu s'absenter pour maladie, mais puisque le vieux libraire l'avait scotché là, en chien fidèle, il s'est épuisé à rester à son poste, derrière la vitre. Tant bien que mal, un peu gondolé et le mot "maladie" de moins en moins lisible sous le pli, il a tenu. Brave bout de papier fatigué et courbé comme un humain. Et maintenant, voilà que le mois de février s'achève. Voilà que nous pensons de plus en plus souvent, en passant devant la boutique, au vieil absent. Et nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter un peu. Début mars, c'est si proche, s'il allait ne pas tenir promesse ? Début mars, pourquoi a-t-il écrit cela ? Pourquoi pas plutôt fin avril, ou début septembre ? On aurait eu la joie peut-être de le voir revenir trop tôt... tandis que là, début mars, non, il ne pourra pas être là. Nous l'aurions su. On nous l'aurait dit, à la boutique marocaine Pourquoi ne revient-il pas, juste un instant, pour recoller un autre papier, qui dirait par exemple "l'année prochaine", ou "très bientôt", "prochainement", une formule qui n'engagerait à rien, qui resterait, comme il convient, dans le vague ? Tout reviendrait en ordre. Mais là, début mars, et ce papier tout anémié...! bon sang, quel idiot ce marchand ! qu'est-ce qu'il s'est imaginé, qu'on revient quand on veut peut-être ? Mais à quoi bon des reproches ? Quand nous passons devant la vitre de plus en plus mouchetée de poussière, devant le papier de plus en plus décollé et gondolé, notre coeur se serre. Car début mars, c'est après-demain, c'est demain... c'est terrible... s'il allait ne jamais revenir, après avoir mis sa vie en liquidation, le vieux libraire ?