Juste un mot du 11 novembre, juste un mot pour toi, DAHOMA Simbala, du 7e Bat. d'étapes malgaches, que j'ai croisé tout à fait par hasard, au cimetière de Blois, sous le drapeau français en berne, dans le carré militaire des morts de 14-18.
On t'avait fait venir de très loin pour te coucher dans ton sang, et on t'avait envoyé, blessé, mourir dans cette ville étrangère. Puis on avait posé, par-dessus ton corps perdu et glacé, la stèle des musulmans, parmi les croix des autres.
Tu étais de Madagascar, une île qui me fascinait quand j'étais enfant, et dont je décalquais patiemment les contours sur mon livre de géographie, pour le plaisir de placer, dans mes rêves, parmi les oiseaux, les rivières et les arbres, le doux nom de Tananarive, ainsi qu'on appelait encore alors, dans nos écoles d'un monde à peine décolonisé, Antananarivo. Ou bien peut-être étais-tu plutôt des Comores, que j'aimais bien aussi, posées plus petites sur l'Océan comme quatre rangs d'alcyons. Comment savoir, puisque le mémorial des disparus n'a rien retenu de toi, que ton nom et le lieu de ta sépulture ?
Tu es né quelque part sur l'océan très bleu des atlas et des globes, dans une île lointaine qu'on dessinait en rose et en vert sur les cahiers d'écoliers, et tu es mort dans la boue de France : ne sachant rien de toi, je ne dirai rien d'autre.
Si, pourtant, tout de même, autre chose encore. Peu de chose.
Juste un mot pour ta mère aussi, pour ta mère dont le nom n'est pas sur la stèle, pour ta mère qui longtemps t'attendit, là-bas.
Juste un mot pour la femme sur l'île, à qui, un jour, a été lue cette lettre où on disait que tu ne rentrerais plus. Mort, pour la France, enterré, pour la France, que tu étais. Au loin, très loin, là où jamais, jamais elle n'irait.
Juste un mot pour les larmes qui ont coulé sur ses joues sombres, auxquelles se mêlaient, en longues rides grises, sans qu'elle pense même à les essuyer de son pauvre mouchoir, la poussière lasse des tranchées, le grain lent de tes heures de douleur sur le lit d'hôpital, la terre lourde de cette tombe qu'elle ne verrait pas, et ce sable aride du deuil, où ne s'enracinent d'autres chrysanthèmes que ceux du désespoir, aux pétales blancs de glace.