Dessous
Les dessous, voilà, c'est ainsi, les dessous sont toujours surprenants, souvent troublants, rarement affriolants.
Dessous de l'affiche et dessous de l'histoire. Sombres dessous des cartes, astucieux dessous du théâtre. Sales dessous des affaires honorables et dessous gribouillés des toiles les plus pures.
Dessous-de-table. Dessous de tapis où s'amoncelle la poussière. Beaux dessous de l'orchestre, où tremble l'appel des hautbois, le cri d'enfant des clarinettes, le clair soupir des flûtes.
Tous ces dessous des choses... De quoi ruiner des mondes. De quoi dégringoler au trente-sixième dessous. De quoi s'émerveiller aussi parfois, et sourire au-dessous de l'échelle.
Mais que sait-on de ce qu'on a cru voir tant qu'on n'a pas regardé en-dessous ?
Ainsi, il y a presque deux semaines, je vous ai montré ce grand pan de carton ensoleillé qui nous disait si joliment : " Sourissez à la vie ".
Je suis tombée de très haut tout à l'heure quand j'ai regardé en-dessous, car il était toujours au même endroit, juste posé un peu plus haut, sur d'autres parois de carton, et il servait de toit, par cette fin d'après-midi grise et glaciale, à un SDF - comme on dit aujourd'hui où tout doit prendre une apparence rationnelle et moderne, tout, même la monstruosité qui veut que tant d'humains soient privés de logis sur cette terre qui appartient à tous.
L'homme couché sous le sourissant carton s'était tout simplement bâti une hutte avec les déchets de la ville, comme ses ancêtres se seraient fait une cabane de rondins ou de boue, et il avait posé là son sac et son duvet, pour résister au froid.
La nuit tombait. Des étudiants des beaux-arts qui sortaient de leurs cours bavardaient avec lui, lui offraient des cigarettes, des gâteaux et des livres. Sans doute les mêmes qui avaient écrit et dessiné sur son toit, l'autre jour, ce message qui probablement lui était déjà destiné...
Moi, j'étais stupéfaite... j'avais découvert les dessous de mon beau carton : une immense misère et beaucoup de douceur, un homme replié sur lui-même comme une souris tremblante, et la bonne chaleur d'une jeunesse encore tendre et joyeuse.
La vie, en somme, telle qu'elle va aujourd'hui, barre dessous, par ce temps de gros vent où l'on sourisse comme on peut, sous la tempête et sous la vague, pour ne pas se noyer.