Orphée dans le métro
En lisant récemment (link) que le grand street-artist Banksy avait échoué à vendre à vil prix dans la rue les oeuvres qu'il écoule d'habitude à prix d'or dans les plus célèbres galeries, j'ai repensé à Orphée dans le métro...
L'expérience est connue. Le premier à l'avoir tentée fut le violoniste Joshua Bell.
La conclusion fut sans appel. Pourtant, Renaud Capuçon a voulu essayer à nouveau... il en est résulté ce court-métrage passionnant de Simon Lelouch - où l'on s'aperçoit que seul l'aveugle entend :
http://vimeo.com/17688367 (cliquer sur l'image pour voir la vidéo)
(capture d'écran)
Alors, pourquoi ? On vous parlera de contexte, d'ambiance, de disponibilité des esprits. Certes, il faut à l'émotion artistique la lente maturation du désir et le loisir qui vous fait une âme. Il est facile de concevoir qu'on n'est pas prêt à écouter Orphée lorsqu'on arpente en hâte les sinistres couloirs du métro, tandis qu'on se prépare le coeur, dans l'attente et la joie, pour se rendre à cette fête qu'est tout concert. Il est constant aussi qu'on n'admire volontiers que ce que d'autres ont déjà admiré, tout jugement personnel supposant une assurance et un effort critique dont bien peu sont capables, alors que se ranger au goût dominant apporte toujours au contraire la douce certitude d'être du bon côté. Voici, en somme, déjà, bien des raisons...
Mais je crois qu'il y en a d'autres encore, plus troubles - ou plus limpides peut-être, après tout ?
Celle-là, en particulier : ce qu'on admire et applaudit, quand on admire et applaudit un artiste, ce n'est pas seulement son oeuvre. C'est aussi sa célébrité. C'est le long effort qu'il lui a fallu pour sortir de la foule. Ce sont les millions que paient pour lui des admirateurs fanatiques. C'est la marque invisible et pourtant rayonnante que le destin a posée sur le front de l'élu.
Tandis qu'à l'artiste perdu dans la foule, à celui qui nous ressemble, au mendiant qui ne peut nous donner que ses oeuvres, aussi merveilleuses soient-elles, il manquera toujours cette aura de la fortune, ce nimbe de l'universelle admiration qui fait qu'un homme peut devenir, comme les héros de l'Antiquité, un demi-dieu.
Ce n'est pas seulement d'art que les hommes ont besoin quand ils se tournent vers l'art. C'est aussi de croire qu'il y a des dieux parmi eux. Et aux dieux, on ne croit vraiment que dans leurs temples, sous les ors et la pourpre, assis au milieu des fidèles en extase.
Alors dans le métro, ligne 6... Seul l'aveugle, qui ne sait pas à quoi les dieux ressemblent, peut encore entendre...
(capture d'écran)