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L'envol

Publié le par Carole

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    Devant le grand hangar des ateliers de Carnaval, on remarquait aussi cet immense cheval ailé et rose, destrier magnifique du défilé de l'an passé. 
   A le voir ainsi galoper dans le soleil du soir, l'aile sombre et l'oeil profond, ce cheval moulé sur les rêves formatés des studios Disney et les mythes plastifiés de chez Mattei, je me suis dit qu'il est grand, le pouvoir du rêve. Que son élan est toujours vivace, qu'aucune industrie culturelle n'en viendra jamais à bout, et qu'il est prêt, toujours, à nous entraîner plus haut - plus haut que ce monde de plastique Barbie et de beauté mondialisée. Prêt, comme jadis, à nous emporter vers le ciel. 
    Et qu'il suffirait, aux hommes d'aujourd'hui, d'ouvrir au rêve leurs yeux d'enfance, pour s'envoler, fût-ce sur un grand cheval rose aux muscles de poupée, comme ils chevaucheraient Pégase. 

Publié dans Fables

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Le trône et l'enfant

Publié le par Carole

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    Devant les ateliers du Carnaval, comme chaque année, la Peluche géante, le Singe énorme aux yeux de fleurs, l'immense Kiki-Yéti aux mains roses et aux doigts sans griffes, accueillait les enfants. Tous se pressaient pour le voir, les parents hissaient leurs petits sur le siège pour les photographier en majesté... 
    Ils grimpaient joyeusement, énervés de désir et de rires. Pourtant, lorsqu'enfin ils se trouvaient assis sur leur trône de carnaval, tous, brusquement, prenaient, bizarrement, un air grave et presque apeuré.
   Peut-être pressentaient-ils, à se voir si seuls, sur ce trône démesuré, dans la grande ombre noire du géant, qu'ils ne seraient plus pour longemps les rois choyés de leur pays d'enfance, et que bientôt la vie, la lourde vie adulte, la vie comme elle va et comme elle ne va guère, tour à tour débonnaire et cruelle, gracieuse et implacable, les saisirait entre ses larges paluches maladroites - pour les emporter plus loin, beaucoup plus loin que cet instant où le bonheur, dans un éclair de flash, était en train de se figer. 

Publié dans Enfance

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Les ombres de Fukushima (réédition)

Publié le par Carole Chollet-Buisson

 
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11 mars 2013 : deuxième anniversaire du drame de Fukushima.
 
A Fukushima, où la mer a emporté tant de corps jamais retrouvés, sans urne, sans sépulture,
à Fukushima, où la mort monte comme une marée lente dans le corps des enfants irradiés,
à Fukushima, les ombres des disparus se posent comme des oiseaux tristes et doux, comme des oiseaux sombres, sur les ombres des vivants,
et ces ombres si courtes, si fragiles, face à la mer immense, face à la mort sans limites,
ces ombres minces et légères qui se pressent aux pieds des humbles silhouettes de là-bas,
s'allongent jusqu'à nous, s'allongent jusqu'ici.
 
Aujourd'hui, tandis que dans mon petit jardin
d'ici
se forment, aux branches encore glacées du cerisier, les premiers pétales blancs du printemps,
Dans chaque battement de mon coeur j'entends trembler la terre,
Dans chaque pulsation de mon pouls j'entends s'enfler la vague
de là-bas.

Publié dans Fables

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Fantômes

Publié le par Carole

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      "L'amour propre est, hélas ! le plus sot des amours." (Madame Deshoulières)
 
 
    Et qui donc était-il, celui-là, ce Léon oublié, ce Jamin de chez nous ? Souvent, dans les rues, on marche sous des plaques qui portent, ainsi, des noms d'inconnus. Ils eurent leur heure de puissance ou de célébrité. Et voici que se rouillent les clous qui les retiennent à la faible mémoire des hommes, et que grisaille le vieux mur qui les transporte sur son dos.
    Sic transit gloria mundi, leur nom seul leur survit comme un fantôme, suspendu au-dessus de nos têtes.
    Est-ce donc cela qu'il veut nous dire, l'étrange carreleur anonyme qui vient ici la nuit poser sur les murs de la ville, près des plaques officielles émaillées de bleu, ses petites mosaïques clandestines et fantomatiques, ses pieuvres ectoplasmiques aux yeux pâles et morts, qui nous regardent sans mot dire ?
    Les rues nous donnent, ainsi que les cimetières, des leçons de modestie : de tant de gloires passées, lesquelles sont encore quelque chose, aujourd'hui ? Et desquelles se souviendra-t-on, demain ?
    Mais ce qui m'effraie le plus, ce sont les plaques qu'on réserve ici aux "littérateurs" - ces hommes et ces femmes qui aspirèrent à la littérature, qui crurent en elle, y firent même souvent carrière, mais que rejeta finalement l'implacable verdict. 
 
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    Rien de plus dur, de plus impitoyable, que ce perpétuel désherbage, que cette frénésie de rangement du Temps, ce bibliothécaire lucide et féroce, qui, de tous les grands entassements de livres et d'hommes qu'il suscite sans fin, ne garde en ses rayons étroits que quelques rares élus, rejetant au pilon des volumes infinis d'efforts et d'illusions - le long, le pauvre bavardage de ces humbles talents qui sont la piétaille nécessaire de l'art et de l'histoire, et tombent au champ d'oubli pour que brillent, là-bas, dans la lumière d'éternité, ceux qu'il fallait sauver.

Publié dans Nantes

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Non

Publié le par Carole

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   Il n'y a pas plus de quelques mois, sur ce grand mur, on pouvait lire l'inscription, jaune, forte et carrée : "Non aux 170 licenciements". Le mot Non éclatait, ferme, puissant, en lettres si brûlantes qu'elles paraissaient dorées, quand le soleil donnait sur le clairon du o. Et puis on a repeint : il fallait, n'est-ce pas, l'effacer, la mémoire fatiguée de la révolte éteinte... à moitié - c'était bien suffisant. Sur le pan de mur mal nettoyépersonne n'est venu poser un autre non, seuls quelques tagueurs sont passés, au hasard de leurs nuits, écrire en lettres embrouillées leur rébellion fugace.
    On ne peut plus lire grand chose de clair, maintenant, sur le mur. Wero Moisy ciements trop mort le soutien de. Des mots. Juste des mots posés côte à côte, indifférents les uns aux autres, anneaux brisés d'une chaîne humaine à jamais rompue. Bredouillement de colère retombé en crachats, absurde bavardage de ceux qui pouvaient être rois mais dont l'élan retombé s'est moisi.
 
    On ne dit jamais longtemps non. Ni aux licenciements ni aux guerres ni à la honte ni à l'ennui ni à rien. On ne dit jamais longtemps non, c'est ainsi. Le non est une note grave et dure, ardente, extrêmement difficile à tenir.
    Les hommes vont et les harnais blanchissent, le souffle manque, et la résignation pousse partout ses ombres.
    On se lasse. Peu à peu vient l'oubli, qui passe pour sagesse. Il paraît qu'on s'adapte, qu'on accepte, qu'on change, qu'on n'a plus la folie de dire non, qu'on devient raisonnable, qu'on préfère dire oui mais. C'est ainsi. Sur ce mur comme partout. 
 
    Pourtant, celui qui saurait vraiment, longuement, fortement, dire non saurait enfin dire vraiment oui. A la vie, par exemple. A l'avenir. A l'espoir.

Publié dans Fables

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Merci

Publié le par Carole

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       Je passais, et soudain j'ai vu ce mot posé sur l'herbe : "merci".
     Ainsi, parfois, un mot qui passe lui aussi, pour un instant s'approche, et s'arrête, et nous parle, très doucement nous invitant à méditer.
 
 
   " Merci"... autrefois c'était un mot si fort, un mot qui suppliait, un mot qui pardonnait, un mot qui faisait grâce et qui donnait la vie.  
    Mais quelqu'un l'a jeté, quelqu'un l'a dédaigné, et le voici dans l'herbe, un peu sali déjà, si fragile, à la merci du vent et de la pluie. Même on pourrait le piétiner, le recouvrir de boue.
    C'est pourtant un mot bien précieux, "merci", et, on a beau le dire cent fois par jour, à la boulangère qui vend le pain comme au passant qui donne l'heure, c'est un mot qui engage. Un mot qui lie.
    Un de ces mots où l'humanité sans fin se recrée, se ravive et s'allège, dans cette certitude de chacun de devoir aux autres un peu de sa vie.

Publié dans Fables

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Bonheur

Publié le par Carole

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   Vous avez vu, vous avez lu, et déjà je vous entends protester. D'abord vous avez ri, un peu jaune, face à ce panneau bleu... voilà maintenant que vous vous indignez... oui, oui, je vous entends... : 
     - Comment ? Qui ose dire que le bonheur est une impasse, pire même : une voie privée, dont la pleine jouissance est strictement réservée à quelques-uns ?
    - Qui ? Mais des gens très ordinaires, de braves gens, comme vous, comme moi, habitants très banals d'un petit coin de paradis qu'ils défendent jalousement. Soyez-en sûrs, et soyez sûrs aussi qu'ils n'y voient pas malice. Qu'ils n'y ont pas même réfléchi.
    En matière de bonheur nous sommes tous ainsi : égoïstes qui ne savons dire que "je", parfois "nous", mais jamais "ils"...
 
    C'est un grand mot, le mot bonheur, l'un des plus beaux qui soient. Pourtant, qu'elle est étroite, et mesquine souvent, l'âme de celui qui dit : "Je veux être heureux"...
 
       - Vous croyez ? Mais les étoiles, là, sur le panneau... les étoiles dans le bleu, les étoiles qui veillent, les étoiles qui rêvent, qui les a posées, là, pour que nous regardions plus loin - un peu plus loin que cette impasse ?

Publié dans Fables

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Rue de la Roquette

Publié le par Carole

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  Paris, rue de la Roquette    
 
"Fuir ! là-bas fuir !" (Mallarmé)
"On ne part pas." (Rimbaud)   
 
    Partir, courir, s'enfuir... s'échapper par le toit pour regagner le ciel, s'en aller vers les cimes, et grimper vers l'été... est-ce qu'on sait où, est-ce qu'on peut même l'imaginer, ce qu'on voudrait, où on irait ?
    Mais sans fin on en rêve... partir, très loin, très haut... là-bas fuir ! On le voudrait, on le veut, il le faut. Pas d'autre issue à cette vie des foules qui nous étouffe et nous oppresse... on s'élance, on va s'en aller seul et libre, plus aucun doute, on est en route...
    Pourquoi est-ce à cet instant justement qu'on aperçoit là-haut cette silhouette lourde et désarticulée, qui court sans pieds et s'élance sans mains, qui s'enfuit immobile - et nous ressemble tant ?

Publié dans Fables

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Fraternité

Publié le par Carole

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    "Soi-même comme un autre", Paul Ricoeur
 
 
    Je ne sais plus dans quel village nous nous étions égarés, par cet après-midi froid et gris. C'était après Angers... une erreur, une déviation peut-être nous avait entraînés là, après un lacis de petites routes. Et brusquement nous avions rencontré cette enseigne de carrelage, au fronton d'une vieille maison. C'était bon de s'être enfin retrouvés...
 
    Fraternité, tu es le dernier mot de la vieille devise, le moins souvent cité, le moins aimé, mon préféré pourtant.
    Au nom de Liberté on a écrasé tant de vies.
    Au nom d'Egalité on a opprimé tant d'existences.
   C'est qu'on t'avait toujours oubliée, toi, douce Fraternité, qui donnes sens à tout, qui es le fondement de toute véritable liberté, de toute égalité humaine. Toi qui partout invites douceur et compassion, partage et attention. Toi sans qui cruauté, voracité, rapacité auraient toujours le dernier mot.
   A petits pas, carreau après carreau, hésitants et modestes, les hommes te dessinent, te cimentent et t'assemblent. Parfois, il faut, comme on le peut, recouper, colmater, recoller les carreaux, pour que chaque lettre ait sa place. Mais tes grands T vigoureux sont larges et solides comme ces tables hautes et bleues, à la terrasse des cafés de campagne ou de faubourgs, où l'on s'assied pour prendre un verre ensemble, après le dur travail - en frères partageant la peine et la boisson - et goûter un moment cette paix, cette joie de savoir qu'en un monde bien rude où tant de vies s'égarent, on n'est vraiment soi-même qu'en compagnie d'autrui.
       Soi-même comme un autre, tout simplement.

Publié dans Fables

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