Un petit revolver dans son écrin
Je feuilletais distraitement ce matin un numéro de l'Histoire - celui de décembre, je crois. Soudain mon attention flottante a été aimantée - cela arrive si bizarrement, chaque fois, si impérieusement - par deux pages qui auraient pu paraître insipides, tant le sujet a été récemment rebattu.
C'était, dans la rubrique "Actualités", un article de plus, consacré à ce fameux petit bout de film qui a fait le tour des réseaux sociaux, l'an dernier, parce qu'on a cru y reconnaître la silhouette de Marcel Proust, figurant fantomatique d'un grand mariage mondain, descendant les marches de la Madeleine (ça ne s'invente pas...).
L'auteur de l'article réfutait par de savants arguments cette identification émouvante, déduisant sans hésiter, de toutes les informations qu'il avait rassemblées, que le jeune homme très flou, le bel indifférent de la photo n'était qu'un inconnu sans qualités, ombre parmi les ombres de "la cohorte des fausses apparitions d'écrivains célèbres".
Et, au passage, dans une courte phrase nichée au creux d'un très long paragraphe, il nous apprenait, sans s'attarder sur ce fait qui apparemment ne lui semblait mériter aucun commentaire, que monsieur Proust, effectivement inscrit sur la liste des invités, avait offert aux jeunes mariés... "un petit revolver dans son écrin".
Cela m'a laissée rêveuse... l'auteur de la Recherche... offrant à des mariés un petit revolver dans son écrin ?
Un revolver... ?... dans son écrin... ! Monsieur Proust... si correct et si policé... Pouvait-on vraiment croire... ?
Et puis, oui, finalement.
Une silhouette floue qui pourrait être celle de tout le monde. L'air d'être ailleurs quand chacun s'évertue à avoir l'air d'y être. Un par-dessus de bonne facture, tout à fait élégant. Et dans la poche un petit revolver (dans son écrin).
C'est bien cela, un écrivain.