L'absent de Noël

Publié le par Carole

L'absent de Noël
    Ce matin, au feu rouge, attendant dans la longue file qui menait au supermarché, j'ai aperçu dans mon rétro ce très vieux Rom qu'on voit souvent se glisser entre les voitures en tendant la main. Il portait cette fois un costume de Père Noël.
    Qui lui avait donné ce costume d'un rouge et blanc éclatant d'acrylique ? Qui l'avait affublé en Noël made in China ? Qui était venu le déposer en ce lieu dangereux pour qu'il faufile entre les roues sa maladresse de vieillard ? Il y a en ce monde tant d'esclaves... C'est encore plus ignoble, quand on leur fait endosser le costume de la joie et de la générosité...
    Instinctivement, j'ai attrapé mon appareil-photo pour saisir dans le rétro cette pauvre silhouette. On croit toujours que les photos vont prouver on ne sait quoi qui n'est plus à prouver, qu'elles nous aideront au moins à ne pas oublier, peut-être à mieux comprendre... J'ai toujours avec moi un appareil-photo, et souvent je me dis qu'il ne me sert pas exactement à photographier, mais simplement à regarder, c'est-à-dire à poser sur le monde le cadre qui seul peut faire surgir le sens - ou le non-sens de la scène qu'il dessine.
    Au feu, bien sûr, je n'avais qu'un instant, j'ai photographié le rétro sans rien régler, sans rien vérifier - on verrait bien plus tard, plus tard, plus tard je regarderais... Sans doute aussi me sert-il surtout à cela, cet appareil-photo que j'ai toujours sur moi : à regarder plus tard, à regarder avec retard, avec ce décalage qui seul peut faire surgir les vérités que le présent nous cache.
 
    Quand j'ai enfin re-gardé le cliché, le soir, à ma grande surprise, le mendiant de Noël était absent du cadre que le rétro devait lui dessiner. J'étais certaine pourtant de l'avoir vu dans le viseur, quand j'avais appuyé rapidement sur le déclencheur. Certaine, absolument certaine qu'il y était quand j'avais pris le cliché. Mais sur l'image que j'avais cru saisir, il fallait se rendre à l'évidence, il n'y était plus. Il avait disparu.
    Disparu, de tout son rouge criard avalé dans le gris de ce matin pluvieux, emporté dans le flou où se perdent les ombres, le triste père Noël qui mendiait en esclave. Oublié, effacé de ce jour où la joie commande. Plus même une tache rouge et vague.
    Plus rien, que ces gouttes de pluie comme larmes au vent.
 
    Il y a en ce monde tant de gens qui ne peuvent subsister qu'en s'effaçant.
    Tant de pauvres gens qui ne survivent qu'en absents, et qui n'y sont jamais.
 
Si seulement cela pouvait, Noël, être la joie de ces absents de toutes joies.
Si seulement il pouvait, notre papa Noël, se défaire des oripeaux de fête fausse dont les commerçants l'ont revêtu, si seulement il pouvait se mettre enfin à nu, pour faire battre de joie, sur le tambour vivant de son vieux coeur humain, toutes ces mains tendues qui cognent sans  espoir aux portes fermées du bonheur.
 

Publié dans Fables, Nantes

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Q
Si seulement... mais hélas, il faut se rendre à l'évidence. :(<br /> Ta page est absolument magnifique.<br /> Passe une douce soirée Carole.
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L
Tout est déjà dans ton titre. C'est poignant, déchirant, cruellement lucide. La misère exploitée, toutes ces vies volées, qui n'ont pas d'existence propre. A Paris ce sont des enfants qui circulent entre les voitures...<br /> Impuissance, cœur serré, colère immense. On n'arrive même pas à croiser leur regard, il est vide, hagard. On dirait qu'il n'y a personne dans cette peau d'enfant... Tout comme dans ce triste costume envolé de ton rétro. Là où règnent la misère et l'exploitation, l'humanité n'a plus sa place...<br /> Merci pour ta lumière ♥
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A
"Disparu, de tout son rouge criard avalé dans le gris de ce matin pluvieux,(...) Oublié, effacé de ce jour où la joie commande. Plus même une tache rouge et vague.<br /> Plus rien, que ces gouttes de pluie comme larmes au vent."<br /> Mais grâce à toi et pour ceux qui te lisent il demeure quelque part, fragile et frémissant, sur les écrans du net
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A
Que ton coeur se réchauffe, ma chère Carole, à l'approche de ce moment qui, au-delà des fêtes commerciales, montre la victoire du Lumineux sur toute ténèbre, de l’Éclatant sur toute rigidité glacée.
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C
Je te souhaite le même éclat pour ces fêtes de Noël, hautement symbolique de ce combat de la lumière contre les ténèbres.
A
En effet, tu es une "pro" de l'image saisie au vol, de l'instantané inattendu, et là, le monsieur s'est esquivé, comme mes oiseaux qui viennent picorer sous ma fenêtre... Je ne crois pas qu'on l'ait "obligé" à quoi que ce soit, et pourquoi n'aurait-il pas pris plaisir lui-même à ce petit jeu ? Notre commisération est lourde pour ces gens, et ils ont une certaine fierté eux aussi.
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A
Ah, il est vrai que je ne connais pas Nantes.
C
C'est vraiment un endroit très dangereux, et il est très vieux. Cela me choquait depuis un moment, mais maintenant, le costume vient "en plus".
L
J'admire cette évocation de la fête standardisée, programmée, "obligatoire", avec des accents acerbes, désespérés, et aussi la disparition du symbole. Bravo et merci.
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A
Terrible symbole cette disparition. Dans ma rue ils distribuent de retentissants "joyeux noël" , il ont tous une guirlande, un chapeau rouge, quelque chose pour marquer les fêtes qui me donnent honte de rentrer dans un magasin, seulement voilà, cela fait des années que ça dure, on déplore que rien ne soit fait à grande échelle car notre compassion et nos petits dons sont bien dérisoires.
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J
Fête du commerce par excellence, que tous ne peuvent se permettre à bourse déliée, vrais ou faux mendiants, nous en verrons encore de part les rues, de même que ces gens qui font la queue au restau du coeur et autres, un restau ouvert pour un hiver il y a.... Entre ceux qui ont tout et ceux qui ont si peu, je te dis malgré tout joyeux Noël Carole, merci...
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T
On a de plus en plus de mal à dire "Joyeuses fêtes de Noël" et cependant je ne défaillis pas en vous les souhaitant, le reste est aménagement.
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