A terre
Sur la terrasse il gisait à terre, couché sur le dos, vaincu, dans son armure luisante, comme ces lourds chevaliers du moyen-âge que leur armure trop pesante, les empêchant de se relever, entraînait dans la mort.
Sur l'écran trouble de ma mémoire, j'ai revu passer les images effrayantes d'Henry V et d'Alexandre Nevsky. J'ai imaginé son dernier combat, sa lutte de seigneur superbe et maladroit dans le grand ring gluant de l'araignée, sa chute dans les cordes que chaque effort resserrait sur ses ailes, puis sa lente agonie, KO couché, pattes gigotantes dans l'armure inutile qui l'empêchait de se redresser.
Et je me suis dit que mon jardin si paisible, que mon enclos de paradis était sans doute en effet, pour la foule des minuscules habitants qui le partagent avec moi, pour l'oiseau au regard agité qui ne picore qu'en sautillant, pour le mulot qui s'enfuit dans la haie frissonnante, pour le papillon blanc qui tremble sur sa feuille, pour le lucane affolé que sa course maladroite a retourné comme un caillou, pour la fourmi écrasée sous mon pied avec tout son fardeau, pour le bourdon titubant qui agonise dans le maquis des lavandes, pour eux, pour eux tous, un champ de bataille aussi terrifiant que les pires cauchemars guerriers que nous ont légués nos ancêtres soldats.
Et que c'était après tout ce qu'on appelle la vie. Un combat incessant, où tous doivent finir par tomber, pour que tout continue.
Mais l'après-midi était si doux, et mon jardin si parfumé, que je me suis vite assoupie, sur la terrasse où m'attendait la chaise longue.