La famille Carex - réédition revue d'un texte paru le 5-05-2012
...au Jardin des Plantes
où l'on avance comme en poésie,
sur les chemins tournants de l'analogie,
qui entraînent nos pas rêveurs.
Au Jardin des Plantes vit et prospère une famille que je connais bien, pour l'avoir rencontrée souvent, en promenade dans mon propre jardin, et dans tant d'autres lieux qu'elle fréquente à ses moments perdus... Une famille que vous connaissez sans doute un peu vous aussi : je veux parler de la famille Carex.
Ils y sont tous, ou presque, je crois, au Jardin des Plantes, ces Carex. Ils vivent là tranquilles, dans leurs petits logements de ciment, derrière des panonceaux proprets - rangés comme au cimetière, et pourtant si vivants, si coriaces.
Une grande famille, figurez-vous... Issue de la branche des Cyperacées, par les Monocotylédones, rien de moins. Une grande et vaste famille qui compte parmi ses membres des personnalités aussi marquantes et diverses que le jeune et chlorotique Carex pâlissant, le malheureux Carex penché, le vieux Carex courbé et l'inquiétant Carex vésiculeux - sans oublier le Carex lisse, le sévère Carex noir et le noble Carex élevé.
Certes - mais n'en va-t-il pas ainsi dans toutes les familles ? - on déplore parmi eux de criantes inégalités : ainsi le Carex appauvri cousine amèrement avec le Carex luisant, tellement plus fortuné ; quant au pauvre Carex écarté, qu'on n'invite jamais, son sort n'est pas beaucoup plus enviable, vous l'avouerez, que celui du misérable Carex puce, contraint de brocanter tristement sa pénible existence.
Hélas, le Carex paradoxal vous le confirmera, rien n'est simple, rien n'est un en ce monde...
On compte parmi ces Carex, je crois, tous les caractères qu'identifia jadis Théophraste, le vieux naturaliste : les hypocondriaques, comme le Carex à pilules ; les inconsolables, les mélancoliques, tel le Carex en deuil ; les glauques et les rampants, grouillant à l'ombre du Carex bas ; les angoissés, les terrifiés qu'un rien accable, groupés serrés sous la bannière tremblante du Carex panic ; et puis tous les hésitants, les velléitaires, les tourmentés, émules du Carex divisé... J'en connais d'irascibles, aussi, de ces Carex : le Carex hérissé, par exemple, qu'un rien fait se dresser sur ses ergots. Il y en a qui vous tiennent la dragée haute, comme ce Carex pointu ou ce terrible Carex terminé en bec - des gens très âpres, ceux-là, très coupants en paroles, qui tiennent du reste de leurs ancêtres, puisque les Carex sont issus lointainement d'une gens Caro, ainsi surnommée à Rome, dit-on, pour son côté tranchant. Et puis, c'est inévitable, certains ont les dents longues : tel ce Carex des renards. D'autres fanfaronnent un peu, mais ces prétentieux-là sont vite remis à leur place : voyez ce Carex presque en queue de renard, hirsute et défraîchi...
Une grande famille, cette famille Carex, une très grande famille, et si humaine, au fond.