Ce gilet... il est resté plusieurs jours, pendu comme un être humain, à la palissade de la boulangerie, essuyant pluie et grêle, et toutes les colères de ce triste mois de juin.
Je crois qu'il appartenait à une vieille femme de mon quartier qu'on voit depuis plusieurs mois errer, aller d'une boutique à l'autre, portant un lourd cabas, et longuement attendre, immobile sur le trottoir, des inconnus qui ne viennent jamais.
Sans doute, un jour qu'elle s'était rendue à la boulangerie, était-elle restée un bon moment ainsi, à scruter la route. Le soleil d'un été disparu lui avait un instant souri, et elle avait eu chaud. Elle avait retiré son gilet, l'avait accroché là comme à un arbre du jardin d'autrefois, puis l'avait oublié. Elle était repartie bras nus, frêle comme un enfant dans sa robe d'été. Ensuite elle avait eu de nouveau si froid... frissonnante elle avait cherché son vêtement, et elle avait marché encore dans le vent glacé de l'oubli, elle était repassée bien des fois près de la palissade sans le reconnaître. Elle avait poursuivi son errance, ses longues stations sur le trottoir, ses étranges achats de gâteaux chez le boulanger, son attente anxieuse de l'inconnu qui manquait chaque jour son rendez-vous.
Pendant presque une semaine je suis passée devant le gilet abandonné, pensant à cette femme, à sa détresse immense et incommunicable. A l'indicible angoisse qui envahit ceux qui perdent peu à peu la mémoire, et qui errent en eux-mêmes, prisonniers d'un dédale où chaque chemin commencé ouvre un couloir qui se referme. A ceux-là qui s'en vont si fragiles, âmes humaines toutes nues, sans gilet sans bagage, sur les routes effacées du temps.