Nous sommes les gardiens du phare
"Jean-Paul Eymond et Serge Andron ont remis, vendredi 29 juin, la clef de Cordouan, le plus ancien phare du pays, après trente-cinq ans de bons et loyaux services. Avec leur départ à la retraite, la profession de gardien de phare d'Etat s'éteint." (Le Monde, 30 juin 2012)
"[...] Bientôt, ils seront tous là, tous les gardiens de phare, tous mes prédécesseurs, à guetter, avec moi, le dernier hélicoptère, le dernier filin, parce qu'on va tous repartir, ils résonnent, une multitude de pas, combien sont-ils, combien furent-ils... " (Eric Faye, Je suis le gardien du phare)
"J'ai toute la nuit devant moi." (Jean-Pierre Abraham, Armen)
C'en est fait. L'histoire est accomplie.
Il n'y a plus, dit-on, il n'y a plus de gardien, là-bas, dans les tempêtes et dans la nuit.
Se peut-il vraiment qu'il ait disparu, qu'il ne soit plus qu'un souvenir,
le solitaire au loin,
celui qui gardait du naufrage les grands navires posés sur l'horizon,
celui qui notait dans ses livres la lentehistoire de la mer et du ciel,
celui qui veillait sur le feu comme un prêtre ou un dieu,
celui qui grimpait sans vertige l'échelle accrochant au néant la tour d'humanité,
celui qui parlait aux oiseaux trempés de sang et aux vagues démentes,
celui qui faisait son nid au penchant des orages, aux branches nues des astres,
celui qui promenait la lampe sur la tempête et sur l'informe,
celui qui là-haut se tenait comme une île immobile,
au centre de tout ce qui hurle et de tout ce qui passe ?
Il protégeait dans le vent fou la tremblante demeure. Où donc est-il allé ?
Maintenant que le feu ronfle seul dans la maison qui brûle,
que les navires de fer se guident aux signaux de machines inconnues,
où se tient-il, le brave homme aux yeux clairs qui veillait sur le monde ?
Peut-être avons-nous eu tort de nous fier si longtemps à sa fidélité lointaine, peut-être est-il temps de le comprendre, que c'est à nous, aujourd'hui que nous voilà seuls, aujourd'hui qu'il fait nuit, de devenir, de nos lumières inquiètes et de nos routes incertaines, les veilleurs assidus.
Nous sommes les gardiens du phare.