La fenêtre de Chateaubriand
Lui, j'étais allée le voir à Combourg.
Après la visite des tours, du chemin de ronde et de la triste logette au chat fantôme, dans le sombre château de granit où, depuis si longtemps, il n'était plus, je l'avais soudain aperçu au village, à la fenêtre d'une crêperie.
C'était encore l'été, il faisait chaud, le grand homme avait poussé la vitre pour rêver au balcon, y saisir une phrase lentement mûrie, une ferme période, ou peut-être une tendre épithète, cueillie comme un fruit mûr aux branches du beau temps, dans les ramages du fer bleu et les volutes roussies de la vigne...
Et voilà qu'il était, au-dessus de la petite rue, dans la maison banale, un homme parmi les autres, un rien ébouriffé par le vent de l'histoire, à peine tourmenté par son âme d'Abencérage - juste un peu assombri par le manteau dont le fresquiste avait cru bon de le couvrir.
Un homme même pas très grand, qui ressemblait un peu à Stendhal, et aussi à Schubert, à Schumann - enfin à bien des gens -, et qui regardait fixement la boutique d'en face : il s'appuyait sur un mur de briques, croisait un peu les jambes, dans la nonchalance d'après-midi - sûrement il allait bientôt descendre dans la rue, pour acheter un journal, un bouquet... Le soir il irait manger une crêpe en bas. Au beurre salé, avec une bolée de cidre.
Il était parmi nous tout bonnement.
Tout de même, il y avait la plume. Entre ses doigts elle était si grande, si claire, si longuement caressée de vent... plume d'oiseau prophète, trempée dans l'encre du grand ciel et la douce harmonie des beaux jours de ce monde... et dans sa main pensive on voyait frémir, respirant l'avenir et l'air bleu dans ses pages légères, un manuscrit joli comme un billet d'amour, chantant comme une partition, où les mots d'outre-tombe dansaient en notes vives, sur les lignes du temps.
De Chateaubriand jamais je n'aurais attendu tant de simplicité - ni tant de légèreté !
Puis il m'a semblé que le peintre, sous l'apparente naïveté de la représentation, avait touché profond.
Car c'est cela, le pouvoir de l'artiste.
Il vient à notre rencontre, sans que d'abord on le remarque, l'air de rien, homme parmi les hommes. Et quand nous percevons, à son passage, la tiède brise d'infini, le goût léger de ciel et de musique qui s'en vient dans nos vies, nous en sommes, toujours, un peu surpris.
C'est, dirait-on, si peu de chose.
Et tout est là pourtant.