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japonisme

Vos avenirs

Publié le par Carole

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 Takaki Takino - "Vos avenirs" (きみたちの未来- 15 novembre 2014 - Nantes, Maison de l'Erdre.
 
 
La photo s'intitulait "Vos avenirs". Justement ils passaient, main dans la main, jeunes et pensifs. C'était dans la Maison de l'Erdre, où l'on expose en ce moment les photographies de Takaki Takino, artiste exceptionnel. 
Ce qui surprend toujours, dans les oeuvres des grands photographes, c'est leur incroyable capacité à s'accorder avec ceux qui les rencontrent. A se placer tranquillement au plus près de chacun.
On passe, on regarde... non, on est regardé par ce regard que l'artiste a posé dans son oeuvre.
On ne s'en rend pas toujours compte, mais déjà, on est happé, on est ailleurs, dans l'image – exactement là où l'on devait être. 
 
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La voie

Publié le par Carole

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J'ai sous les yeux le catalogue de l'exposition "Hokusaï" qu'on peut voir en ce moment au Grand Palais.
Et ce qui me bouleverse, ce n'est pas seulement de constater l'incroyable richesse et la perfection surhumaine de cette oeuvre, c'est surtout de pouvoir, image après image et page après page, grâce à l'organisation chronologique qui a été si justement choisie, suivre tout doucement la "voie" empruntée par le maître.
Elle nous est presque étrangère, à nous impatients Occidentaux, cette notion de "voie", pourtant c'est l'une des clés qui pourraient nous ouvrir, si nous savions la tourner et la retourner, les portes innombrables, transparentes et opaques, solides et coulissantes, de l'ancienne pensée japonaise. Tout ce qui demande savoir ou savoir-faire s'apprend selon le "dô", la "voie", et il y a une "voie" pour les peintres et les calligraphes aussi bien que pour les guerriers et les femmes de la bonne société apprenant à nouer l'obi des kimonos ou à préparer le thé.
Comme tout chemin, la "voie" a d'abord été tracée par les pas de milliers de prédécesseurs. Et, comme tout chemin, elle va d'étape en étape. Ainsi, le peintre s'engageant dans la voie apprend lentement son métier, suivant son maître. Lorsqu'enfin il franchit la première étape, le premier "dan" qui lui permet de s'approcher du maître, il lui est loisible de changer de nom, car la voie est un chemin toujours double : comme un arbre mobile dont les racines accompagnent le feuillage, elle chemine à la fois dans les réalisations visibles de celui qui la suit et dans les profondeurs invisibles de son être.
Puis, parvenu un peu plus loin sur la "voie", le peintre atteint la seconde étape, celle qui fait de lui un maître à son tour. Il change encore de nom, et il reprend le chemin qui ne peut s'arrêter. Il lui faut atteindre l'étape suivante, et la suivante encore, pour avancer, d'étape en étape, juqu'au dernier "dan". Là seulement commence l'autre chemin, celui qui mène à l'inconnu. Et seul peut l'atteindre le maître qui a vécu assez vieux pour s'être plusieurs fois dépouillé de son nom, comme un mince serpent changeant de peau jusqu'à se faire dragon. C'est pourquoi Hokusaï, estimant qu'il n'avait commencé à comprendre son art qu'à l'âge de soixante-treize ans, a exprimé le souhait en apparence insensé de vivre au moins cent-dix ans afin que "point ou ligne, tout soit vivant" dans ce qu'il tracerait. Et c'est en effet dans ses années d'extrême vieillesse qu'on voit son art se libérer, tenter toutes les expériences, tous les renouvellements, toutes les folies de la vie bouillonnante.
Ainsi, alors qu'en Occident, à la même époque, de jeunes artistes se chargeaient comme des géants de frayer seuls et d'un coup des avenues nouvelles, au Japon le vieux maître avançait sur son étroite voie, à petits pas de nain, attendant le grand âge pour s'élancer en titan là où s'effacent toutes les routes.
 
Dans la dernière oeuvre qu'on connaisse de lui, réalisée alors qu'il avait probablement quatre-vingt-neuf ans et se faisait appeler Gakyō Rôjin Manji, "le vieux fou de peinture", un dragon s'envole dans le ciel sur le dernier tronçon insaisissable du chemin, ce nuage noir sinuant qui conduira peut-être au néant, peut-être à l'infini. Peu importe. L'essentiel est que son corps vertigineux se confonde exactement avec le tracé de l'encre. Ou inversement. A moins que ce ne soit encore le contraire.
 
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Légumes, poissons, et autres coquecigrues

Publié le par Carole

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    "Vous semblez les anguilles de Melun : vous criez davant qu'on vous escorche".
(Rabelais, Gargantua)
 
 
Je suis allée, comme beaucoup de Nantais, visiter au château l'exposition "Samouraïs".
L'art flottant de l'estampe (ukiyo-e) y était solidement représenté. J'ai été heureuse de revoir là quelques-unes des quarante-trois "Stations" d'Hiroshige que j'avais déjà admirées au musée Guimet. Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, c'est ce triptyque d'Hirokage daté de 1859 et représentant "La grande bataille des fruits, des légumes et des poissons", vision comique et parodique des guerres et soubresauts qui marquèrent la fin du Japon féodal.
 
hirokage
 
C'était si touffu et drolatique que je me suis souvenue de Rabelais, et de la façon dont frère Jean, enfant du nouveau monde, découpe comme des poulets ses adversaires, derniers débris en armure du vieil univers féodal, qui fuient comme des ânes et crient comme des anguilles.
Et je me suis dit que, d'un bout de la Terre à l'autre, les mondes anciens finissent toujours par s'écraser comme citrouilles mûres, poires blettes et poissons pourris, tandis que volent en ricanant les coquecigrues. Et aussi que, de même qu'un fruit exquis ressemble à un légume succulent, les esprits libres partout se ressemblent, et nagent de conserve, souples et légers, dans ces eaux troubles mais fécondes où infuse l'humanité.

 

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Les carpes

Publié le par Carole

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Rive de Loire - Anciens chantiers navals - Nantes
 
 
C'est aujourd'hui le 5 mai, le jour des Koïnoboris, ces manches à air en forme de carpes qu'on accroche au Japon dans les jardins, pour la joie des enfants. Il faut que je vous raconte la jolie légende que célèbrent ces poissons du ciel. La légende de la carpe qui avait remonté le fleuve...
C'était une carpe comme les autres, une carpe toute carpe, luttant dans le courant. Car telle était alors la vie des carpes, la dure vie des créatures du fleuve : remonter le courant, avancer en luttant, toujours combattre et sans fin s'évertuer contre le flot cruel. Aussi elle bondissait, cette carpe, elle luttait comme carpe, acharnée à survivre, contre l'eau qui la repoussait. Elle s'obstinait, recommençait, de toutes ses forces combattait, recommençait encore. C'était une carpe comme les autres, une carpe toute carpe, mais voilà que soudain les dieux du rivage la remarquèrent, et se mirent à l'aider et à l'encourager, car cette carpe-ci était – ainsi en avaient-ils brusquement décidé – de la race héroïque des carpes triomphantes.
Si bien qu'à son dernier effort, celui qui aurait dû la faire mourir d'épuisement, les dieux pris de pitié la changèrent en dragon. D'un bond de dragon-carpe elle atteignit alors la source, souple et légère comme une flamme. Elle était devenue éternelle, elle était maintenant l'enfant chéri du ciel.
Depuis, lacarpequiatantluttépourremonterlefleuvequelesdieuxl'ontchangéeendragon est le symbole du courage et de l'endurance obstinée, l'emportant sur tous les obstacles. 
 
Il y en a tellement, de ces carpes du fleuve qui luttent et s'évertuent contre le flot contraire. Elles déploient toutes pour frayer leur route autant d'énergie que la carpe-dragon, peut-être même bien davantage. De temps à autre les dieux, qui aiment à faire les dieux, en sauvent une du flot et la changent en dragon. Mais les autres... que voulez-vous, elles sont si nombreuses à lutter... les autres, les dieux font semblant de ne pas les voir. Nul n'écrit leur légende, elles finissent épuisées et vaincues, échouées sur la rive, chair morte abandonnée, et nous nous écartons sans pitié quand nous rencontrons par hasard leur cadavre oublié pourrissant sur le sable.
Dans la foule obstinée des carpes toutes carpes, pourquoi choisir celle-ci, pour en faire un dragon scintillant bondissant vers les sources ? Pourquoi dédaigner celles-là, condamnées à se perdre dans le néant bourbeux ? Il y en a trop, bien sûr, de ces carpes du fleuve, mais... mais, tout de même, pourquoi celle-ci et jamais celles-là ?  — Ah ça, personne n'en saura jamais rien, pas même les dieux du vieux rivage, qui vont, comme nous tous, au hasard des méandres. Mais taisons-nous plutôt, et laissons les enfants agiter dans le vent leurs grands koïnoboris colorés d'espérance.
 
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http://www.mamalisa.com/?t=fs&p=859&c=85

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Harukaze (vent de printemps)

Publié le par Carole

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À fruit rouillé bourgeon doré
 
 
L'arbre déplie ses ailes bleues
Envol de freux oiseau de feu
 
Au doigt fané du vieil hiver
Passe la bague de lumière
 
 
Vent de printemps sur l'or du temps.
 
 
    Aujourd'hui, ces quelques vers, et rien de plus. 
   Car le vent de printemps est un dieu si léger qu'il ne peut semer dans l'air bleu que quelques grains de mots fragiles, aussitôt emportés. Les Japonais l'appellent harukaze, vent de printemps - ce qui pourrait aussi bien vouloir dire vent de jeunesse, souffle du renouveau, brise de l'année naissante.
 
春風
 
    Insaisissable envol de tout ce qui veut naître - renaître.

 

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Le dernier homme de Fukushima

Publié le par Carole

   le dernier homme de Fukushima
éditions Don Quichotte
 
 
   On ne sait quel sentiment l'emporte, quand on achève le livre qu'Antonio Pagnotta a consacré à Naoto Matsumura, l'ermite fermier de la préfecture de Fukushima...
   La révolte, contre TEPCO (Tokyo Electric Power Company) et sa gestion effarante, tout d'abord de ce qu'on appelle la prévention des risques, puis de la catastrophe qui a effectivement frappé, en mars 2011, après le tsunami, le réacteur I (Daii ichi).
   La stupeur, ou la pitié peut-être, devant la passivité, et la docilité sans doute plus résignée que confiante, de la population japonaise.
   L'effroi, lorsqu'on songe au sort qui attend les victimes - par exemple, dans les villes limitrophes de la zone d'évacuation, arbitrairement déclarées exemptes de contamination, ces enfants qu'on n'a pas déplacés, auxquels on n'a pas distribué de pastilles d'iode, et dont beaucoup déjà présentent des kystes et des nodules bénins de la thyroïde.
   L'admiration, devant le courage du reporter se risquant, pour savoir, et pour faire savoir, dans la zone interdite et si dangereuse.
   L'enthousiasme, à découvrir le combat de Naoto Matsumura, la force qui l'anime, son effort surhumain pour sauver les animaux et les terres de son pays natal, dans la plus totale solitude.
    Et l'espoir, l'espoir surtout. Car ce dernier homme de Fukushima est en réalité le premier, celui qui ouvre le chemin, celui qui peut nous aider à passer de l'autre côté, de ce côté où l'humanité, au terme de son parcours, cesserait de vivre en colonisatrice et prédatrice de son environnement, pour trouver enfin cette harmonie avec la nature qui couronnerait l'effort millénaire vers ce qu'on a pu appeler le progrès. 
   Dans son livre, Antonio Pagnotta nous raconte les trois séjours qu'il a effectués, entre juin 2011 et novembre 2012, guidé par Naoto Matsumura, dans la zone interdite des vingt kilomètres autour de Daii ichi. Sa description, aussi lucide qu'hallucinante, nous fait comprendre toute la violence du désastre nucléaire subi par le Japon, dont la presse occidentale parle si peu, et que bien des Japonais même, mal informés, continuent de sous-estimer. Mais le vrai sujet du livre est Naoto Matsumura lui-même, Naoto le résistant.  
    Descendant d'un moine shinto, cet homme s'est donné à tâche de panser et de faire revivre sa terre natale, lourdement empoisonnée et désertée après l'évacuation. Il sait quels risques il encourt, qu'il est désormais un hibakusha, un irradié, un paria, et que le césium accumulé dans sa chair et ses os viendra nécessairement à bout de ses forces, pourtant, il a décidé de résister, à sa façon. Par respect pour la nature, toute entière sacrée selon la pensée shintoïste, qui croit tous les êtres vivants égaux en noblesse et en importance, il est revenu dans sa ferme, malgré l'interdiction formelle des autorités et au prix de grands sacrifices. Sans électricité, sans eau, démuni de tout sauf d'un peu de carburant pour son camion et des dons que lui font parvenir quelques sympathisants, il a recueilli ou nourri les animaux survivants, il a remis en culture des terres abandonnées. Et il se consacre désormais à l'élevage d'un grand troupeau de vaches dont les bouses fixent le césium des plantes digérées - ainsi, peu à peu, pense-t-il pouvoir éliminer le césium passant du sol aux bouses qu'il incinère - c'est infiniment lent, mais la patience de Naoto est sans limite, comme celle de la nature qu'il vénère.
     Naoto n'est pas un théoricien, pas un penseur politique, il n'est même pas, malgré la haine dont il poursuit TEPCO, un militant anti-nucléaire, il est moins encore un ennemi de la science, sur laquelle il essaie, autant qu'il le peut, et notamment par ses contacts réguliers avec le docteur Masamichi Yamashita, de l'agence spatiale Jaxa, d'appuyer ses projets.
    Il est seulement, je crois, de ces hommes héroïques et simples qui nous tracent à tous le chemin pour après : n'accepter ni la peur ni le désespoir ni le déni, face au désastre annoncé (et peut-être ne sera-t-il pas ce désastre-là, cet enfer nucléaire qui s'est logé en quelque sorte expérimentalement, à Fukushima, peut-être prendra-t-il une toute autre forme, ou même plusieurs formes simultanées). Lutter, calmement, fermement, ne pas renoncer, et, avant tout, retrouver le lien qui nous unit aux bêtes et aux plantes, qui nous fait hommes parmi le monde et avec le monde. Au bout de ce parcours est notre chance ultime, non seulement de survie, mais tout simplement d'humanité.
    Antonio Pagnotta a appelé Naoto Matsumura le dernier homme de Fukushima. Je préfère l'appeler, quant à moi, le premier homme. Le premier homme du monde d'après.

 

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Aki

Publié le par Carole

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En ces premiers jours gris qui annoncent l'hiver, tandis que commencent les vendanges des coteaux de la Loire, je prépare mon voyage à venir au Japon. Et voilà qu'aujourd'hui j'apprends qu'en japonais "automne" se dit "aki" - ce qui s'écrit , kanji formé en associant au premier signe, qui désigne les récoltes, celui qui désigne le feu. Je caresse du doigt pour l'apprendre le dessin très pur de l'idéogramme... il me semble en effet reconnaître ce grand incendie des fruits mûrs, et la chaleur féconde des rizières ressemées. Même je vois très bien, dans l'élan dentelé des traits qui s'entrecroisent, ce haut flamboiement des roues d'or et de sang que font les arbres au bord des routes, dans leur dernière parade.
Ce nom brûlant est aussi un prénom féminin, du reste très commun, qui, lui, s'écrit fréquemment あき, a-ki.
Car il est tout à fait possible d'écrire "automne" ainsi, à la manière maladroite des étrangers (qui restera toujours la mienne), des jeunes enfants et des gens peu instruits, en associant simplement deux signes du syllabaire hiragana : あき, a-ki. 
Or, lisant à haute voix ces deux syllabes : "a-ki", on pourrait désigner, tant il y a d'homonymes en japonais, non seulement l'automne, mais aussi le vide, la vacance et l'attente, l'oisiveté sereine du temps libre ; ou bien tout au contraire la lassitude, l'épuisement, la fatigue d'une longue peine. Notions que deux kanjis différents dessineront à leur tour.
Et... et je crois préférable d'interrompre ici mes explications sans doute confuses d'élève appliquée et peu douée...
 
... mais c'est une très belle chose, vraiment, dans cette complexité si déroutante de l'écriture japonaise, qu'on puisse lire à la fois dans le livre d'images des superbes kanjis - si denses et si chargés de sens et d'élégance qu'ils sont chacun comme un vers de haïku -, et dans l'humble syllabaire, si riche, lui, d'homonymies miroitantes, aptes à dire aussi bien la saison des fruits que la jeune fille en fleurs, la mélancolie vague de ceux qui atteignent, après la peine des jours enfuis, l'automne de la vie, ou la patience sereine du passeur qui nous fera signe, tout à l'heure, de monter dans sa barque pour traverser le fleuve.
Ainsi, glissant d'une écriture à l'autre, "aki", l'automne, est tour à tour la fin de l'été, et le commencement de l'hiver, qui lui-même est l'attente, un peu triste et lasse, du printemps dont la ferveur fera naître l'été brûlant, où flambera de nouveau l'automne.
Cette façon de penser me plaît, qui désigne l'enfant nouveau-né du nom de la saison des morts, qui fait de ce qui doit finir l'attente d'un lendemain, de la feuille oisive et fanée le nid des récoltes nouvelles, de la grappe mûrie l'incendie des étés à venir, de notre lassitude le songe mélancolique d'où renaîtra la vie.
Il y a dans ce mot, "aki", comme dans bien d'autres mots japonais, le cercle fascinant de la brûlure des jours, de la douleur de disparaître et de la paix trouvée dans la douceur d'attendre. On goûte, en l'épelant, ce vin subtil de poésie et de méditation qui manquera toujours à notre "automne".

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