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fables

Passer la porte

Publié le par Carole

porte-poignee-rouge.jpg
 
 
Franchir le seuil du vieil hiver, passer la porte de lumière,
Laisser sortir l'année fanée pour faire entrer l'an qui renaît.
 
La pendule s'essouffle et le coeur toque un peu,
Mais on tourne quand même la poignée du temps neuf
Et l'on saisit la main de janvier compagnon
Pour marcher vers demain d'un bon pas d'illusions.
 
Dire qu'on y croit toujours, aux recommencements,
Dire qu'il les jette encore, ses grands feux d'artifices,
Ce monde en plein minuit
Qui voudrait être enfant.

 

 

Publié dans Fables

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Opéra

Publié le par Carole

opera.jpg
 
 
    Il y avait eu tempête au panneau d'affichage. Tout s'était retourné, découpé, recollé. On aurait vraiment cru un collage de Prévert, faisant son cirque dans la rue sur un air de Chagall. 
   Avec ce mot, Opéra, comme un mégot farceur, comme un sourire aux lèvres, sous le nez en pirouette... C'était peut-être l'opéra du vent et de la pluie, de la terre inondée sous la lune obscurcie. Ou bien l'opérette en goguette du hasard qui nous guette.
   Le temps change sans fin les têtes d'affiches, on le sait bien. Visages après visages claquent au vent de renommée dans les voiles des jours.
 
   Mais l'artiste, c'est celui qui toujours continue. Le clown se meurt, le clown est mort? Qu'importe, il s'en revient toujours. Comment donc pourrait-il mourir, puisque nous conservons son beau brin de  sourire au nid de nos chansons ? Puisque nous emportons un peu de son regard dans nos yeux de passants,
   nos yeux lavés au bleu de son esprit de fantaisie,
   nos yeux semés au grain de sa douce folie,
   nos yeux multipliés comme le pain de poésie.
 
 

Publié dans Fables

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Petit homme

Publié le par Carole

poubelle
 
 
    C'était, sur le mur d'un immeuble très neuf, à l'entrée du local à poubelles, un bonhomme au pochoir, un picthomme dérisoire, qui ne tenait plus sur ses jambes que par les angles usés de ses moignons.
 
    Géométrique et sûr de lui, il jetait aux ordures, dédaigneux, méthodique, une Terre boursouflée de continents irréguliers, d'océans dentelés, de forêts sous le vent, d'animaux galopants, et de tant d'étranges richesses aux contours d'infini qu'il avait mesurées, gaspillées, dépecées, méprisées.
    Il se croyait plus fort qu'Elle. Il n'avait pas l'air de comprendre qu'Elle allait rebondir comme un ballon, comme un remords, comme un coeur tout vivant, comme sa propre tête. Et réduire en morceaux le petit géomètre. Qui n'aurait plus qu'à se jeter lui-même, pièce à pièce, défait, dans le traître filet de son piège à ordures. 
 
    C'est drôle comme chaque année quand l'année se finit, on pense à tout cela qui pourrait se finir en ce monde infini.
    Sur ses deux arêtes émoussées, sur ses moignons d'échasses, jusqu'où s'en ira-t-il encore, l'égaré qui croyait marcher droit, le petit homme qui voulut être grand ?

 

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Destination père Noël

Publié le par Carole

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    Voilà, c'est fini, et l'on va retirer la boîte. Peut-être même qu'on l'a déjà déshabillée de ses guirlandes, décrochée et rangée.
    Je suppose que certaines lettres sont arrivées, et qu'on a envoyé en retour des colis bien garnis.
    Mais les autres, celles qui se sont perdues dans les ombres du deuil, dans les scories de la douleur, dans les soutes de la misère, les autres, qu'est-ce qu'on en a fait, là-bas ?
    Et celles qu'on envoie tous les jours, dans ces bouteilles sales qu'on rejette à la mer, dans ces grands cris muets qu'on lance au vent hurleur, qu'est-ce qu'on en fait, de celles-là, dans les coins sombres où elles s'égarent, lasses et froissées, effacées, résignées ?
   Peut-être qu'on les entasse, après tout, quelque part, petits tas de feuilles sèches, pétales de coeurs fanés, et qu'on les garde, pour plus tard. Pour que l'on se souvienne. Larmes à conviction. Que l'on sache pourquoi il faudra bien le faire exister, un jour, ce Père Noël.

 

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Mystère de Noël

Publié le par Carole

jouez de votre mystère
 
 
Le trottoir s'amusait à parler de mystère...
Mais le seul vrai mystère, c'était, sur son chemin, ces feuilles d'or vivant du ginkgo millénaire.
Et la branche de l'arbre tenant la main des jours pour faire le tour du temps.
Et l'année au solstice faisant tourner sa barque sur la rivière hiver.
Cet éternel retour des saisons de l'espoir qu'on appelle Noël.

 

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Porte murée

Publié le par Carole

porte murée - quartier miséricorde
 
    Derrière les grilles, il y a ceux qui marchent silencieux dans les allées tracées, évitant de poser leurs regards sur les portes murées. Et ceux qui hurlent leurs noms de fous en lettres hautes et flambantes, pour barrer le passage au désespoir qui frappe, à grands coups de bélier, aux parois de leur coeur. Et puis tous ceux encore qui s'assoient dans la boue, la tête entre les mains, boxeurs déjà vaincus du combat qu'on leur a refusé.
    Partout les vieux châteaux s'écroulent. Permis de démolir.
   Partout Babel grandit sur les gravats, sans plus savoir de quel ciel elle était le pilier, sans plus savoir de quel dieu elle était le palais, portes et fenêtres à jamais closes sur les rêves écroulés. Plans égarés depuis que le progrès, cet architecte désinvolte, a pris la fuite avec la clé.
    Ce qu'il faudrait, c'est trouver là-dedans un petit sentier de traverse, encore fleuri de violettes et de mésanges bleues, qui conduirait vers le bonheur. Ou bien un balcon sur la mer, pavé de sable et de coquillages comme un chemin de petit Poucet.
    Et on le trouvera.

 

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Bonjour monsieur Michon

Publié le par Carole

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On m'avait dit qu'il habitait dans cette rue où je passe tous les jours. On me l'avait dit mais je ne le croyais pas. Car c'est un écrivain que j'admire. Comment un écrivain que j'admire pourrait-il emprunter le même trottoir que moi, comment pourrait-il s'affronter au même horizon barré d'immeubles sombres, et regarder passer dans le ciel vide les mêmes nuages gris ? Donc, je savais qu'il habitait là mais je n'y croyais pas.
Mais voilà, hier après-midi...
...je passais dans la rue comme chaque jour, lorsque j'ai vu le facteur se pencher vers un interphone. Il a appelé : "Monsieur Michon ?  J'ai déposé un paquet pour vous dans le hall... "
J'ai entendu une vois grésiller dans l'interphone. Je ne sais pas ce que monsieur Michon a répondu, mais il avait l'air embarrassé par le cadeau du facteur, qui a insisté : "Vaut peut-être mieux pas le laisser là..." A nouveau la voix a grésillé, à l'autre bout de l'interphone, venue de la pièce où se trouvait monsieur Michon. Le facteur a dû être rassuré cette fois, car il a repris son chemin, sur son grand vélo noir chargé de lettres et de paquets.
 
Pas de doute, l'écrivain que j'admire habite dans cette rue où je passe tous les jours, il reçoit des paquets qui l'encombrent, sa voix grésille dans l'interphone d'un hall d'immeuble, il est monsieur Michon pour son facteur et pour son boulanger. Banale est sa vie, banale est sa rue, banal est son nom. Son oeuvre seule n'est pas banale. Et c'est là justement la seule chose que l'on doive admirer : que dans le carton des jours ordinaires il ait su découper sa couronne et la repeindre à l'or. On dit que Verlaine, devenu vieux, avait ainsi acheté un pot de peinture dorée, dont il avait repeint pour se distraire son mobilier de pauvre.
Le roi vient quand il veut, il se promène sur les trottoirs crottés, récupère des cageots pour y poser ses livres, bavarde avec l'interphone qui rouspète et crachote, et reçoit pour Noël des paquets emballés de papier kraft. Peut-être même s'en va-t-il boire un coup, parfois, sur son vélo de facteur, au café des poètes. 
Bonjour monsieur Courbet. Bonjour monsieur Gauguin.... Bonjour monsieur Michon.

 

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Soleil et ombre

Publié le par Carole

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C'est l'heure où le couchant se penche aux rives frissonnantes, où la rivière se creuse un chemin d'or et d'ombre aux grands bois de la nuit.
Soudain il y a cet instant juste un instant, quand la mouette rêveuse entre dans la lumière et se trempe au soleil.
Puis glisse sans regret, silhouette si frêle, vers ce noir où s'efface tout ce qui sur l'eau passe.
Et le flot se referme comme un grand oeil ridé.

 

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L'empreinte

Publié le par Carole

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Il l'avait écrasée sous ses souliers d'automne, il avait poursuivi son chemin vers l'hiver, nous laissant son empreinte sur ce bout de trottoir.
Il marche à pas de feuilles, le temps, et des fossiles d'ombres se posent en silence aux pages de nos vies comme au creux de l'herbier.

 

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Les joueurs de cartes

Publié le par Carole

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Une reproduction des Joueurs de cartes de Cézanne trônait chez mes grands-parents, au-dessus du piano droit et de la petite table de marqueterie qui jouait "La donna e mobile" lorsqu'on en soulevait le couvercle.
Ce grand tableau sombre me fascinait. Il me semblait toujours en le regardant que, si je pouvais en approfondir le sens, je connaîtrais le secret. Le secret de la vie, celui que les adultes me cachaient. Mais jamais je n'y parvenais.
Je les ai revus tout à l'heure dans la rue, mes Joueurs de cartes, encadrés dans la vitre d'un bar. Deux hommes luttant avec les cartes truquées du destin, près de la bouteille aux illusions. Perdus dans les ombres qui passent et les reflets qui fuient. Déjà presque effacés. Mais oublieux de tout, absorbés dans leur jeu, comme s'ils ne savaient pas qu'ils avaient déjà perdu la partie tous les deux. 
Cela n'avait aucun sens. Et pourtant c'était beau, fascinant, bien digne d'être peint. 
Il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu d'autre secret.
 
 

Publié dans Fables

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