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fables

Juste avant le mot "FIN"

Publié le par Carole

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C'est un soir dans la ville. Un soir comme tous les autres. On passe dans la rue remplie de figurants et de décors banals.
Et soudain cette image sur l'écran qui tremblote. Une très vieille femme qui s'affaire à ranger. Juste avant le mot "FIN".
C'est un soir dans sa vie. Un soir pas comme les autres. Car c'est le dernier soir. La boutique est à vendre. La boutique est vendue.
La femme ne nous regarde pas. Elle a tant de travail. Toute une vie à trier à mettre dans son ordre. Santons vieillots figurines oubliées visages effacés. Et ces livres de comptes qui paraissaient si lourds mais qui tombent en poussière. Se hâter tout ranger dans les cartons sans fond de la mémoire qui flanche. Puis tirer le bilan comme un rideau de fer. Avant de refermer la porte.
Il vient toujours, ce soir-là, dans une vie - le soir, le dernier soir, si longtemps redouté, si longtemps attendu sur la pellicule un peu floue.
On tourne tant de films, et toujours ce mot "FIN" sur la dernière image.
 

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Ecran noir

Publié le par Carole

Ecran noir, page blanche... Il y avait longtemps
Que mon ordinateur comme un âne fourbu
Renâclait, s'épuisait, marchait à reculons.
Il vient de rendre au vide sa pauvre âme têtue.
Pardonnez, mes amis, si je m'absente un peu,
Je reviendrai vers vous quand une autre machine
Voudra bien consentir à marcher de nouveau
Sur cette vaste toile où j'ai tendu mon fil.

 

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Songe

Publié le par Carole

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Il ne passerait plus ni par la porte de corne, ni par la porte d'ivoire. Il ne voguerait plus sur l'océan des nuits semé d'étoiles en fuite... Quelqu'un l'avait couché en lettres antiques sur la coque dépeinte d'un bateau pourrissant. 
Lui, derrière son grillage, il appelait comme un vieux prisonnier...
Beaucoup passaient indifférents. Quelques passants tournaient la tête, d'autres même s'arrêtaient, tentés.
Songe...
Puis chacun reprenait son chemin. Il y a tant de grillages en ce monde. Tant de songes enfermés.
 

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Traité du corbeau

Publié le par Carole

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Alors que je feuilletais le livre d'or de l'une des expositions de la "Quinzaine photographique" nantaise, je suis restée en arrêt devant cette étrange lettre de dénonciation.
 
On n'a pas si souvent l'occasion de lire de vraies lettres anonymes rédigées à plume de corbeau. On a moins souvent encore l'occasion de trouver dans de telles missives empâtées de haine, de vulgarité et de fautes d'orthographe, la riche matière d'une réflexion sur l'art.
Mais là... là, tout y était.
La disparition, d'abord. L'oeuvre incriminée était une série de photographies présentant des lieux marqués par des disparitions. Or, notre corbeau, prétendant "reconnaître" Saint-Palais, nous affirmait, de sa plume trempée dans l'encre épaisse du bon sens, qu'il n'y avait "jamais eu de personnes disparues" à Saint-Palais. Admettons qu'il ait sincèrement cru reconnaître Saint-Palais (bien que sur ces vues de détail on se demande quels indices auraient pu rendre possible une telle reconnaissance)... Qu'il n'y ait jamais eu de disparitions à Saint-Palais, cela pourrait être vrai, à la rigueur, au sens étroit des faits-divers (et encore, j'en doute). Mais au véritable sens, au sens humain du mot, est-ce seulement imaginable ? Existe-t-il un seul lieu humain qui ne soit pas hanté par la disparition ? L'humanité elle-même n'est-elle pas une continuelle "disparition", et n'est-ce pas l'unique mission de l'artiste, que de saisir les traces infimes, laissées où que ce soit, dans les lieux même les plus anodins, les plus apparemment dénués de secrets, par la disparition ?
Quant à la véracité... c'est très intéressant aussi, la véracité, car rien en art ne peut jamais être ni vrai, ni faux. Une fois saisie par l'artiste, la réalité s'échappe aussitôt à elle-même, pour devenir toile, photo, récit, tout ce qu'on voudra qui ne sera plus jamais le réel, et qu'on ne pourra plus jamais dire ni "vrai" ni "faux", puisqu'il sera simplement autre, insaisissable terme d'une métamorphose. 
Et le corbeau le savait de reste, puisque la seule photo qualifiée de "véridique", censée représenter un pont, ne figurait - évidemment - pas dans l'exposition...
Mais l'imposture ?... ah, l'imposture ! Tout artiste n'est-il pas un imposteur, lui qui doit se changer en lui-même, se défroquer de sa banalité pour se glisser dans le costume mal cousu qu'il s'est taillé sans en connaître d'avance le patron ?
 
Ainsi, à l'encre antipathique de la dénonciation, notre corbeau avait écrit, en creux et à l'envers, tout à fait malgré lui, un véritable petit traité de l'art, cette imposture nécessaire, vouée à cerner l'humain comme disparition, et à échafauder hors de toute réalité un univers qui lui est propre. 
Le traité du corbeau, en somme.
Mais faut-il s'étonner que la jalousie et la haine, ces passions puissantes qui remuent les êtres jusqu'en leurs profondeurs les plus boueuses, puissent rendre un imbécile aussi singulièrement perspicace ?
 

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Grillage

Publié le par Carole

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A mailles de grisaille
la pluie calme bergère
tricotait un grillage
pour y parquer le jour.
 
Le spleen en roi pêcheur
nouait ses vieux filets
pour prendre dans les flaques
nos âmes sans reflets.
 
Et les rivières du temps
et les heures transhumantes
secouaient dans le vent
la corde de l'attente.
 
Et nous têtes baissées
marchant dans la bourrasque
piétinant nos regrets
comme un troupeau d'hiver.

 

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A la fenêtre de l'automne

Publié le par Carole

ombres-chinoises-recadre.jpg
 
Dans le ciel fauve et noir
je l'ai vu qui cognait
comme un ballon perdu
à la fenêtre de l'automne.
 
Les feuilles de la nuit
repoussant sa prière
déchiraient son visage.
 
Il est tombé meurtri
comme un soupir
entre leurs griffes.
 
Caillou de feu brisé
une étincelle en pleurs
a couru sur le fleuve.
 
J'ai écouté là-bas
le frisson de l'hiver
ricocher sur l'eau lente.
 
Ce n'était rien.
Juste l'été
qui venait 
de
mourir.

 

 

 

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Invitation

Publié le par Carole

invitation.jpg
 
C'est le soir. Il fait triste. Il fait seul. Je marche dans la rue sur les traces de la nuit. Tout à coup sous mes pas je lis : "Invitation". Et... mais c'est qu'il y en a partout, de ces invitations, feuilles bleues de l'automne, versées sur le pavé humide. Invitation. Invitation. Ramassez, servez-vous. Invitation. Invitation.
Invitation ? À quoi ?
Au soir ? À la ville ? À la valse ? À l'automne ? À ici ? À maintenant ? À demain ? À plus tard ? À toujours ? 
Invitation. Invitation. Pas d'autre précision. Invitation. 
Ce sont des billets doux de la banque du rêve. Ils ont l'air authentiques. On dirait que quelqu'un bat ce soir la monnaie du possible. 
Invitation ? Oui, je sais...
C'est drôle, au fond, qu'on ait éprouvé le besoin d'imprimer ces cartons et de les semer dans la ville. 
Il y a donc des gens qui ne le savent pas, qu'ils sont invités, seulement invités ? Mais que chaque instant est un hôte généreux qui nous invite à vivre, à voir, à marcher, à rêver, à valser, à aimer  ?
Dans la nuit et le jour, si légers, invités.
 

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Un tigre dans la ville

Publié le par Carole

tigre.jpg
 
Un tigre dans la ville bondissant vers le soir,
attaché par la queue, un tigre sans pouvoir.
Sage et tenu en laisse, un tigre dérisoire.
 
Mais s'il se libérait, si dans la nuit qui vient
il s'élançait soudain sans qu'on n'en sache rien,
semant la peur la haine comme on fauche un chemin ?

 

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Clown triste

Publié le par Carole

clown pâli - grille - version finale
 
Ce clown... je l'avais déjà photographié il y a trois ans sur la vitrine d'une boutique, dans un petit centre commercial de banlieue.
Il avait alors le nez rouge, et des couleurs ardentes de bon clown joyeux.
Je suis repassée par hasard, tout à l'heure. La boutique était à vendre à louer à brader ou à perdre, dans le centre commercial désormais déserté hanté par la poussière. Depuis trois ans sans doute attendant le chaland.
Le clown était toujours là cependant, et il riait encore, d'un rire pâle et bleui qui commençait à disparaître.
 
C'est ce qu'on appelle la "Crise", je pense. Quand tout est comme avant. Qu'il ne se passe rien. Mais que la vie se grille, que les portes rouillées ont cessé de s'ouvrir, et que les rires s'effacent, et que la poussière gagne. Et qu'on nous dit d'attendre. Et que ça dure trois ans. Et que ça dure trente ans.
 

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La fée

Publié le par Carole

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Moulin de la fée - Saint-Lyphard
 
 
En quittant la Brière, j'ai vu, près d'un dolmen millénaire, ce drôle de moulin à coiffe de fée.
C'est, paraît-il, tout simplement, un vieux moulin rénové, qui produit aujourd'hui de l'électricité.
Très belle initiative. Mouture d'avenir. 
Mais celle d'en-haut, chevauchant dans l'air bleu son radeau de métal... je la distinguais si mal... qui donc était-elle ? la fée électricité cinglant vers l'avenir dans ses habits tout neufs, ou la vieille "fata" raide et rouillée venue du fond des temps ?
Elle avait lâché le gouvernail de son navire tremblant pour brandir sa baguette en guise de longue vue.
Comme une image naïve, au-dessus de nos têtes, du destin indécis, girouette fadette aux quatre vents fadets, de ce monde fada qui tourne sans répit
Et nous, le grain à moudre, qui tournons immobiles, accrochés à la roue, tous autant que nous sommes, bonne farine ou pauvre balle, tandis qu'il tourne et boule, de plus en plus rapide, de plus en plus fada, sous le vent farfadet qui se lève...

 

Publié dans Fables

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