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fables

Plumes d'oiseau

Publié le par Carole

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Georges Lacombe - Marine bleue, effet de vagues
"La mer trace comme à plaisir ses magnifiques réseaux, ses dentelles d'écailles et ses plumes d'oiseaux"
 
 
Au musée de Rennes, j'ai vu aussi ces plumes d'oiseaux posées comme un velours sur le costume d'écailles de l'océan.
Je ne connaissais pas Georges Lacombe. Il paraît qu'on l'appelle "le Nabi oublié". Il n'est peut-être pas de ceux qui comptent – ceux dont les oeuvres se recomptent en dollars – mais il est certainement de ceux qui ont su porter le regard jusqu'à ce point où il devient vision.
Et la mer, ce reptile envolé, cet oiseau qui chevauche, rampant comme tortue, fumant comme dragon, ondulant comme un ciel et roulant comme un oeuf, la mer, toujours la mer et jamais la même, la mer, cette métamorphose qui jamais ne se pose, la mer s'est coulée toute entière dans ses yeux.
 

 

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Une goutte de lumière

Publié le par Carole

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(photo web)
 
Hier, de passage à Rennes, j'ai revu le "Nouveau-né" de Georges de La Tour.
Je ne pouvais guère entreprendre de photographier l'ensemble du tableau, enfermé désormais comme une Joconde dans sa vitre blindée, et prisonnier des reflets de nos vies fugitives.
Je ne tenterai pas davantage de présenter et de commenter cette oeuvre silencieuse - peut-être l'un des plus beaux hommages que la peinture ait jamais rendu au silence.
 
Je m'en tiendrai ici à un détail - mais les chefs-d'oeuvre ne sont-ils pas, comme le jardin enroulé dans la goutte de pluie posée sur le brin d'herbe, tout entiers dans chacun de leurs détails ?
Je vous parlerai seulement de la goutte de pluie : la petite touche de peinture d'un jaune pâle et très pur que le peintre a placée dans l'oeil de la femme de gauche - celle qu'on ne voit que de profil.
 
La Tour - l'oeil
 
Je ne l'avais jamais remarquée auparavant, cette goutte de peinture où se reflète toute la lumière de l'oeuvre. Mais hier, tout le temps qu'a duré ma visite au tableau, je n'ai vu qu'elle. Plus je la regardais, moins je pouvais détacher mes yeux de cette tache minuscule, et plus il me semblait que le génie du peintre s'était concentré là, dans ce petit point de peinture, cette infime goutte de lumière posée sur l'oeil qui voit, tandis que la bouche close, à peine dessinée, va s'effaçant, dans l'immense silence.

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Le feu et le puits

Publié le par Carole

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"Manquer à la rêverie devant le feu, c'est perdre l'usage vraiment humain et premier du feu"
(Gaston Bachelard - La Psychanalyse du feu, 1949)
 
 
Je fais partie de ces "ruraux", certainement très arriérés, consternés qu'on ait pu décider, au nom de la raison et du progrès, d'interdire les feux de bois.
— Mais voyons : combustion, particules, rendement thermique, ne comprenez-vous pas ? Oh, oui, je vous comprends, mais de très loin, de si loin...
 
Devant ma vieille cheminée de granit, face à cette belle Samaritaine, lourde plaque de fonte venue d'une ferme de Creuse depuis longtemps démolie, je regardais danser sur ses pieds de cendre une flamme mélancolique et bien près de s'éteindre.
 
Le feu, le puits. La civilisation a commencé là. Entre les braises encloses du foyer et l'eau domestiquée des puits et des fontaines, est née et a vécu l'humanité que nous avons connue.
Mais voilà que commence une autre civilisation. Qui déjà ne connaît plus le puits. Et qui bientôt ne connaîtra plus la cheminée. Sans puits. Sans feu. Une autre humanité. Une autre façon d'être humain en ce monde.
 
Et moi devant la flamme à méditer, tombant tout doucement, avec tous mes semblables, de l'autre côté du temps, dans les grandes ténèbres assoiffées des mondes qui s'éteignent.
 
 

 

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Gel

Publié le par Carole

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Tous les bourgeons d'hiver
entre leurs doigts de gel
filent la laine lente
où se noue le printemps
 
et l'araignée janvier
tissant l'ombre et le givre
bâtit ses ponts de fil
sur les rivières du temps.
 
L'hiver a les mains gourdes
l'hiver a les mains noires
c'est le vieux jardinier
qui laboure et qui sème.
 

 

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ça tient à rien

Publié le par Carole

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Vu en passant tout à l'heure à la bibliothèque ce livre démodé - le Comte Kostia-, sculpturalement relu et philosophiquement replié par Stéphanie Gerbaud.
"Ça tient à rien", expliquait l'artiste, "les pages sculptées en forme de coeur sont uniquement maintenues dans cette position par les deux brindilles de bois. Si elles ne sont plus assez solides ou si l'une d'elle vacille, c'est l'ensemble de l'édifice amoureux qui sera détruit".
Je me suis penchée sur l'étagère. En effet, ça tenait à rien derrière la vitre, ce drôle de roman mis en pli. À rien ? mais à quoi exactement ? À deux bouts de bois, un vieux bouquin, deux trous vrillés dans l'épaisseur du papier et puis, surtout, au coeur battant pas essoufflé d'un petit paquet de pages vieillissantes.Et ça tenait bien finalement, en tout cas pas si mal, et depuis tout un an, ces petits riens accumulés. Ça tenait, c'est sûr, à pas grand chose : à la confiance, à la volonté, à l'habitude, à l'attente, au talent, au désir, aux bons soins de l'artiste.
Que ça tienne à rien, c'est vrai rien n'est plus vrai... ça tient à rien, un édifice amoureux, un roman de nos amours, ça tient à rien, à presque rien. Et pourtant, ça arrive, non, que ça tienne ? À rien. À presque rien. À pas grand chose à pas si peu.
 

 

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Un ange à la fenêtre

Publié le par Carole

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Fenêtre - Château de Chaumont
 
 
Parfois, cela arrive, tu vois un ange à la fenêtre.
Il te fait signe et tu lui dis que non,
Mais aucun ange ne renonce jamais.
 A la vitre il appelle, il continue à te faire signe,
Jusqu'à ce que tu t'approches.
Et c'est alors que tout commence.
Ou que tout se finit, c'est selon.
Car déjà tu t'envoles
Aux côtés de ton ange.
Il continue à te faire signe tu le suis sans comprendre.
Tes ailes neuves te gênent un peu.
Tu ne sais où tu vas
Peut-être vers la vie
Peut-être vers la mort
Peut-être nulle part.
 
 
Il y avait un ange à la fenêtre. L'ange était lumineux. La pièce était obscure. Le grand ciel s'enroulait sur les ailes de l'ange. Le jour cognait aux vitres comme un oiseau perdu.
 
Il m'est venu cette question, de Noël ou d'ailleurs, de maintenant ou de jamais, de nulle part ou bien d'ici : regarder l'ange à la fenêtre, laisser le jour entrer par la vitre des rêves, s'envoler immobile sur les ailes qui battent les cartes de l'espoir, est-ce un moyen d'y voir plus clair et de s'en aller loin, ou bien est-ce au contraire se condamner à l'obscurcir encore, la pièce étroite et sombre où il nous faut bien vivre ?
 
Mais je suppose qu'il y a autant de réponses à ma question qu'il y a d'anges, gardiens ou reclus, à la fenêtre de nos vies.
 

 

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Sapin

Publié le par Carole

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Le lego restera toujours, pour ceux qui ont été enfants à partir des années 70, le symbole du possible et de la création. De ce qu'on peut bâtir de vaste et d'étonnant avec de simples briques. Des ramifications sans fin d'une idée qui grandit. Des blocs empilés solidaires toujours si solitaires dans leurs couleurs en joie. De la fantaisie se hissant d'angle en angle sur l'échelle de raison.

Toujours on perdait les plans, et on jetait les boîtes. Le lego se cherchait dans les doigts maladroits qui inventaient des mondes.


Alors quand j'ai vu ce petit sapin de lego bien solide tout là-haut comme au ciel, accroché en couleurs sur le béton et le fer et les poutres et les chaînes, il m'a semblé que c'était vraiment lui le sapin de Noël.

 


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Midi en décembre

Publié le par Carole

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15 décembre 2014 à 12 heures
 
 
A midi en décembre dans les crachats du vent.
A midi en décembre à l'arrêt du tramway à attendre à attendre.
A midi en décembre dans le froid et le triste dans le gris de la vie.
A midi en décembre quand la pluie sous la pluie toute la pluie la pluie.
A midi en décembre quand le jour ce vieil arbre
Etire en noir et blanc ses branches au creux des âmes.
 
A midi en décembre quand le brouillard égoutte aux vitres ses araignées de rides.
A midi en décembre quand tout espoir n'est plus permis.
A midi en décembre quand la lumière en larmes se cache pour pleurer.
A midi en décembre quand on voudrait planter du côté de l'été
Cette aiguille au cadran qui fait tourner la terre.
 
A midi en décembre quand c'est vraiment l'hiver.
 

 

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Astéroïde

Publié le par Carole

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Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Tintin. L'étoile mystérieuse. Le petit FERS jaune et l'Aurore, luttant contre l'effroyable étoile...
Toute notre civilisation, il me semble, depuis l'an mil, depuis le mil avant l'an mil, depuis toujours sans doute, s'est construite contre la peur d'une fin du monde. Les royaumes, les palais, les églises. L'éternité, le progrès, le confort. Les cimetières et les académies. Les ponts et les avions, les autos, les usines et les banques. Les écrivains et la postérité. La Pléiade et Victor Hugo. Et même les BD.
Pour en finir avec la peur que tout, un jour le dernier jour, ne se finisse, pendant des siècles et sans relâche, on a exploré, travaillé, rimé, inventé, imaginé, théorisé, archivé, breveté, fabriqué, éradiqué, aseptisé, robotisé... Le monde entier, en algorithmes séquencés, on l'a enfin couché et ligoté dans les filets du web.
Enfin, disait-on, enfin, il était tout à fait maîtrisé, ce géant remuant. On en avait à jamais terminé avec les champignons du cauchemar et les explosions du hasard.
Petits Tintins qui ne savaient pas grandir, Poucets perdus dans leurs bottes de sept lieues, nous n'avions rien compris. Rien compris à nous-mêmes. A la fascination fatale qui animait nos efforts.
Car voici qu'aujourd'hui l'aiguille a fait son petit tour de mil sur le cadran des ans, et que nous la craignons plus que jamais, la fin du monde, et qu'elle pourrait bien, justement, beaucoup plus que l'immanquable résultat, être le sens caché de cette fabuleuse civilisation qui croyait qu'elle voulait en finir avec la fin du monde. On est toujours rattrapé par ses peurs, quand ce sont elles qui vous ont jeté sur la route.
Et voici qu'aujourd'hui, passifs, coupables et résignés, nous attendons, les yeux fermés, que tout cela finisse, en guettant, sans rien faire, comme ils nous l'avaient demandé, jadis, les vieux imprécateurs, la fin de notre monde, notre fin de leur monde.
Pourquoi ?
Pourquoi se demander pourquoi ?
 
C'est simplement, au fond, que nous en avions toujours eu la conviction.
Qu'elle nous attendrait au tournant. Qu'elle nous arrêterait au milieu de la course,
la fin.
 
Et que peut-être
ce serait 
comme dans Tintin
que ce ne serait pas
pas vraiment
pas du tout
la fin.
 

 

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La machine à écrire

Publié le par Carole

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Un jour, c'est arrivé. Cela devait arriver. L'auteur a cessé de lutter à mains nues sur la page, pour se colleter enfin à la machine.
Le texte a cessé d'être écrit pour être fabriqué.
Le manuscrit vivant est devenu l'impersonnel tapuscrit reproductible à l'infini.
La phrase est devenue cette mélodie imprimée qu'il fallait harmoniser avec la basse d'un clavier cliquetant et les grands chocs furieux d'un chariot soprano.
 
Un jour, ils ont été trois : l'écrivain, la page, et la machine.
 
Rien n'avait changé.
Et pourtant tout avait changé.
L'écrivain ne caressait plus la muse en retaillant sa plume comme un Pierrot de lune.
La machine à écrire l'avait assis à son clavier, posté là comme un autre, dans l'immense atelier de la modernité.
 
Il ne pourrait plus jamais être un dieu,
celui qui peinait et tapait sur les touches à ressorts.
Et, au fond, cela lui était bien égal.
Peut-être même, au fond,
qu'il s'était mis à l'aimer,
sa muse mécanique,
sa mignonne Remington.
 

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