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La feuille et l'arc-en-ciel

Publié le par Carole

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     Quelquefois, on marche, et la beauté se sème sous nos pas. 
   Hier soir il pleuvait. Dans la rue flottaient des lumières de néons, qui se répandaient sur les flaques, apparaissant, disparaissant, tandis que j'avançais - ou croyais avancer.
    A mes pieds, soudain, j'ai vu cette feuille, veillant au bord d'un labyrinthe d'ombres blanches et tournoyantes plus complexe et troublant que celui de la cathédrale de Chartres. Une feuille d'automne en janvier ? Comment si jaune encore ? Quel souffle l'avait épargnée, puis l'avait finalement arrachée, pour la poser justement là, à cet instant où je passais ? Un rayon d'arc-en-ciel conduisait jusqu'à elle, comme dessiné exprès.
    Il a suffi que je m'approche, que je mette mes pas dans ce dédale lumineux qui enchantait mes yeux... tout avait disparu. Et le vent déjà entraînait la feuille, finalement si ordinaire, vers sa pourriture imminente.
 
    Cet infime événement m'a rappelé brusquement un autre événement infime, survenu dans mon enfance.
    Je marchais au jardin, tournant dans les allées, quand j'ai vu briller dans la boue un objet merveilleux. C'était un morceau de verre, tesson d'une bouteille qui avait dû contenir une huile épaisse, un pétrole noir et lourd dont la matière épurée par le temps était devenue prisme, car il chatoyait au soleil d'une multitude d'arcs-en-ciel tournoyants. J'ai pris le morceau de verre dans ma main, fascinée, et je suis restée longtemps ainsi, immobile, à faire danser la lumière dans toutes ses couleurs. Jamais encore je n'avais éprouvé ainsi le sentiment de la beauté. C'était un saisissement inexprimable, une extase véritable. Puis on m'a appelée, il m'a fallu rentrer, laisser sur le sol le fabuleux tesson. Jamais, ensuite, malgré tous mes effors, je n'ai pu retrouver ce fragment - tombé peut-être d'un vitrail de là-haut dans la boue du jardin..
    Je l'avais tout à fait oublié, ce prisme de verre cassé, sale et sublime. Mais, au fond, je crois que c'est lui que j'ai recherché sans fin ensuite, dans les livres que j'ai lus, dans les tableaux que j'ai vus, dans les mélodies que j'ai écoutées.
 
    On a dit qu'un seul battement de l'aile d'un papillon pouvait soulever des tempêtes et faire trembler des mondes. 
    Peut-être qu'un seul battement de l'aile du quotidien peut suffire à faire se lever dans nos vies tout un monde tremblant de beauté. Et si nous poursuivons notre route, croyant l'oublier, qu'importe ? De même que l'infime mouvement du papillon, engendrant d'autres mouvements de plus en plus vastes, devient finalement le levier d'événements immenses, de même, ces rencontres minuscules que chaque jour nous faisons avec l'enchantement nous mènent vers d'autres chemins enchantés, qui eux-mêmes nous conduisent encore vers des chemins plus vastes et plus lumineux, si bien qu'elles sont le vrai ferment de notre capacité à nous émerveiller face à ce qu'on appelle l'art.

Publié dans Fables

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La déesse et l'éphémère

Publié le par Carole

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"Je crois que l'automobile est aujourd'hui l'équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques, je veux dire une grande création d'époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, si ce n'est dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle un objet parfaitement magique."
(Roland Barthes, "La Nouvelle Citroën", Mythologies)
 
 
 
L'automobile, toute noire dans la nuit, se hâtait sur la rampe du parking. Je l'ai saisie alors qu'elle doublait hardiment un véhicule arrêté.
Du véhicule et de ses passagers ne sont demeurés sur le cliché que ces rubans d'ombre et de lumière. Ce sillage flamboyant, inconsistant et fascinant, de bateau ivre et déjà naufragé.
 
Alors je me suis souvenue de la DS, de Roland Barthes, de ses mythologies qui inventoriaient, en forme de légendes éternelles, les petits bonheurs et les grandes sottises, que se racontait alors, dans ses choses, un monde presque entièrement disparu aujourd'hui, et qui fut celui de mon enfance.
On l'avait appelée déesse, cette grasse voiture aux flancs lourds, si rapide pourtant, qui semblait devoir accoucher, dans la lumière de ses chromes et de ses phares tournants, d'un monde heureux et juste, lancé sur les autoroutes du progrès, dont on déroulait partout le ruban bleu de ciel dans les campagnes encore peuplées. Ce n'était qu'une automobile, cette déesse, mais en ce temps-là on rendait à la vitesse, à la route et à l'avenir, un culte jeune et joyeux qui ne s'obscurcissait d'aucune arrière-pensée.
Puis la vitesse est devenue l'urgence, la performance s'est appelée productivité, l'élan s'est renommé cadence, et, bizarrement, peu à peu, la jeunesse s'est résignée, les promesses de bonheur se sont enlisées. Même les automobiles sont devenues sombres, avec leurs vitres fumées posées sur les visages prisonniers des bouchons. On n'a jamais très bien su pourquoi tout s'était ainsi éteint.
 
J'ai repensé à tout cela en regardant le cliché, en observant cette étrange voiture, s'échappant à elle-même, dans son désir d'aller plus vite. Se brûlant de lumière comme un papillon fou, pour se perdre enfin dans la nuit.
Puis, dans le coin droit, tout en haut, j'ai encore lu ces trois lettres, à peine visibles, si lisibles pourtant, tracées sur la façade de l'immeuble voisin : FMR...
 
Ephémère FMR, es-tu donc le fil, noir, jaune, rouge ou blanc, qui me guide et m'égare dans cette ville où sans fin je te retrouve ?

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Les grillages du ciel

Publié le par Carole

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     Le galeriste avait fermé sa boutique pour le soir, tirant sur la vitrine le lourd rideau de grillage qui la protégeait des intrus sans cacher tout à fait à la vue des passants les oeuvres exposées.
     Il n'avait pas pensé que ce frais tableau qu'il vendait, délice de nuages et d'aurores fouetté par le pinceau d'un peintre habile, que ce beau ciel léger si doux, apparaîtrait ainsi, à nos regards nocturnes, étrange et carcéral, et carrelé comme une nasse, sous les barreaux de fer.
    On ne saurait penser à tout. On ne saurait se mettre à la place de ceux qui sont dehors, lorsque l'on est dedans. On ne saurait regarder à travers le grillage, quand l'horizon s'ouvre clair et vaste. On ne saurait imaginer la nuit, quand le jour pose à la fenêtre de grands rideaux de douceur.
 
    Souvent, depuis notre balcon, dans nos jardins paisibles, nous admirons le ciel. Et tant de choses encore. Tant de choses admirables en effet.
     Rarement nous pensons à ceux qui ne peuvent les entrevoir qu'à travers des grilles - de fer, de misère ou de désespoir. Plus rarement encore nous pensons à ce qu'on voit, derrière les grillages et les barbelés, à cette façon étrange qu'aurait le monde, soudain, de rétrécir en petits carreaux aigus, inflexibles et disgracieux, si nous le voyions, nous aussi, depuis notre prison de nuit.

Publié dans Fables

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Jonquilles

Publié le par Carole

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Voilà que les jonquilles sont revenues. Depuis longtemps, au jardin, on voyait les tiges s'étirer, se lancer, se renfler, tisser des feuilles vertes, tresser de minces bouquets en espérance.
Et ce matin, les fleurs étaient toutes là, pensives, la tête un peu penchée, les pieds dans les feuilles mortes de l'hiver, et portant encore sur l'épaule le capuchon de peau usée du vieux bourgeon. Mais vives et jaunes et légères comme au premier jour, semblables à ce qu'ont toujours été les jonquilles naissantes et renaissantes.
C'est ainsi qu'en ce monde, toujours, tout recommence.
Mais pour nous qui passons, jamais ne reviendront les fleurs qui ne sont plus.
 
Le mal du temps, c'est le mal des humains.
 
Je me trouvais tout à l'heure à midi devant l'une des plus belles maisons du voisinage. Derrière le splendide monospace neuf des jeunes propriétaires, parents déjà sans doute, j'ai vu se garer une petite voiture grise à la peinture passée, à l'immatriculation antique. Puis j'ai vu en descendre un vieil homme, en casquette et en veste, avec des chaussures usées, un peu crottées, et un de ces pantalons de bleus délavés que portent seuls désormais les anciens ouvriers qui font encore leur jardin.
Sa casquette était grise sur ses cheveux gris, son corps maigre avait l'air de trembler au vent. Il tenait à la main un gros bouquet de jonquilles, enveloppées dans du papier kraft, qu'il avait certainement cueillies au jardin en partant, heureux du brusque retour des fleurs. Le don des premières fleurs... il faut beaucoup d'amour pour qu'un jardinier s'y résolve.
Le vieil homme s'est dirigé lentement vers la maison riche, avec ses jonquilles qui éclataient de soleil dans la rue sombre. Il s'est arrêté devant la porte, il a hésité un instant avant de sonner.
Lorsqu'on l'a fait entrer, il a tendu son gros bouquet jaune au-dessus du seuil de marbre, je n'ai plus distingué que l'emballage de papier kraft, si terne et bon marché, et son dos très voûté. Quelqu'un lui a dit d'essuyer ses pieds sur le paillasson, puis la porte s'est refermée.
 
Le mal de solitude, c'est le mal des humains.

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L'homme et ses ombres

Publié le par Carole

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    J'ai pris ce cliché un soir, alors que je photographiais par jeu cette place, dont j'aime le dallage géométrique et cependant irrégulier. J'avais posé mon trépied, enclenché la télécommande. Un homme est passé, qui s'est trouvé, en quelque sorte, emprisonné dans la photo à l'état d'ombre, comme il arrive dans ces cas-là aux personnages en mouvement. Tout à coup il s'est arrêté, pour répondre, je crois, à un appel téléphonique. Si bien que l'image l'a aussi capturé sous sa forme humaine habituelle, un peu floutée, évidemment, mais bien reconnaissable malgré tout.
    Ainsi, sur mon cliché, j'avais saisi, tout à la fois, et sans l'avoir voulu, un homme vivant, son ombre portée dessinée par la lueur du réverbère, et son fantôme - l'image méconnaissable de ce qu'il était quelques fractions de seconde plus tôt, et déjà n'était plus.
    Et maintenant, bien sûr, à l'instant où je le regarde, où vous le regardez, cet homme est encore un autre, car chaque instant nous éloigne de nous-même. Un autre parmi tant d'autres. Pris entre le fantôme de ce qu'il n'est déjà plus et l'ombre fugitive que projette son corps présent sur ce qu'il deviendra bientôt. Marchant et s'arrêtant, puis reprenant sa route étrange, sur le grand damier de la vie.
    Un humain comme vous et moi, en somme, qui téléphone, bavarde et prend des rendez-vous, sans se douter de rien.

Publié dans Fables

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L'Amoco Cadiz

Publié le par Carole

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A Marie-Hélène
 
 
     La Seine est toujours charmante à Corbeil, même au coeur de l'hiver.
    L'eau était haute hier, toute salie de boue, mais elle était si douce encore, sous ce dernier soleil de l'année, caressante aux rivages noyés, aux arbres sombres hérissés de bourgeons.
  Un paysage d'aquarelle, lavé au bleu d'un ciel rêveur, passé aux couleurs de l'impressionnisme...
   Et brusquement j'ai vu paraître, moteur lancé, remontant rapidement le cours du fleuve... l'Amoco Cadiz !
   Oui, j'avais bien lu, cette péniche alerte, dont le passage tranchait, sur la peau de l'eau brune, de grands sillons d'azur et de reflets profonds, c'était... l'Amoco Cadiz....
    L'Amoco Cadiz... qui pourrait oublier ?
 
   On était en 78. Mars 1978. Le 16 avait eu lieu la terrible avarie. Le lendemain, au soir, sur tous les écrans de télévision, brisé, immense, le navire s'enfonçait lentement comme un monde épuisé. Et le noir, visqueux, fatal, gagnait les côtes, recouvrait les rochers, les algues, les arbres et les oiseaux, mangeant toute beauté, léchant et dévorant, impitoyable, notre absurde foi dans ce pétrole que nous avions honoré comme un dieu.
   Presque dix ans plus tard, sur le sable blanchi d'ossements de la baie des Trépassés, j'ai vu sécher des galets bruns, huileux et lourds, inlassablement ramenés par les tempêtes.
 
   Comment a-t-on pu peindre, et chaque année repeindre, en lettres bleu de ciel, sur un bateau d'aujourd'hui, sur un bateau vivant, ce nom de ténèbres et de mort : Amoco Cadiz ?
  L'a-t-on nommé ainsi en forme de macabre plaisanterie ? Ou bien, par une sorte de superstition, a-t-on souhaité donner un nom de malheur au bateau pour l'empêcher de céder au malheur, le rendre fort et redoutable - de même qu'on sculptait des têtes de Méduse, jadis, sur les boucliers des combattants ? Est-ce au contraire par dérision qu'on a ainsi baptisé un bâtiment voué peut-être au transport d'hydrocarbures, et aux soutes éternellement noircies et engluées, sous la coque pimpante ?
   Mais à quoi bon chercher ? Ceci ne concerne que le proprétaire de la péniche.
   Et, finalement, cet Amoco Cadiz remontant vaillamment le cours assombri de la Seine, je veux en accepter l'augure - ou simplement l'image - pour cette année nouvelle.
   Car c'est un beau symbole, cette péniche au nom de catastrophe, parcourant les rivières et les fleuves, remontant le courant, glissant en hâte vers l'année qui vient. C'est, je crois, le tableau de l'humanité, qui, de misères en désastres, traîne à travers le temps son chargement de cauchemar et d'innommable, mais va toujours, et court, et se jette à demain, belle malgré tout, jeune, forte, et chargée de promesses - capable toujours de tout recommencer.

Publié dans Fables

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Une étoile en hiver

Publié le par Carole

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Etoile vers demain,
Petite étoile du village,
Accrochée toute nue,
Ecorchée toute rouge,
Au poteau électrique. 
Modeste rose au vent glacé,
Fleur de pauvre lumière,
Traversant seule le noir,
Comme un coeur en hiver.
Aiguille vive de Noël,
Piquée dans le tissu des nuits,
Pour tracer le chemin
Qui n'ira pas bien loin.
Petite étoile du village, 
Petite larme de courage,
Trempée au feu 
 De l’espérance.
 
Et nous qui te voyons à peine.
Et nous qui ne prenons pas garde.

Publié dans Le village : Selommes

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La porte

Publié le par Carole

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Exposition - médiathèque Beauce et Gâtine - Selommes
 
 
    J'ai voulu hier aller visiter la médiathèque. Car il y a maintenant une médiathèque dans ce petit village où j'ai pris, tout enfant, l'habitude d'entasser presque sans choisir, sur les rayonnages de ma vieille bibliothèque fermée de grillages comme un garde-manger, les livres achetés à la ville, comme un pauvre aurait enfermé dans l'armoire à provisions son grain, son huile et son sel - pour ne pas mourir de faim pendant les vacances - pour ne pas disparaître de ne plus avoir un seul quignon de papier imprimé à me mettre sous la dent.
    J'ai trouvé porte close, bien sûr, en cette période de fêtes.
    Mais devant la porte fermée il y avait une autre porte. 
   Celle-là était sans serrure et ouverte à tous les passants de ce monde. Elle avait été peinte en bleu de lavande et de source, et un enfant y avait calligraphié, aux changeantes couleurs de l'espoir, les premières lignes, si souvent oubliées, si souvent bafouées et trempées dans le sang, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
   Fermant cette bannière d'arc-en-ciel, le mot fraternité était posé très rose, oiseau d'aurore sur sa branche espérance. Et, là-bas, tout au bout, l'accent aigu, traçant sa route, délié comme une aile, paraissait s'envoler plus haut, bien plus haut que la barre du t, bien plus haut que toutes les portes barrées.
    C'était si beau, si accueillant que je suis entrée.

Publié dans Le village : Selommes

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L'arbre de Noël

Publié le par Carole

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   Rue de tous les commerces, dans la joie scintillante et factice du marché de Noël, sous l'étendard municipal des fêtes obligatoires, l'arbre se tenait droit dans sa beauté native.
    Au milieu de ses frères d'avenue, ces noirs vaincus aux bras de branches nues, il avait seul gardé sa parure de feuilles. Seul il avait, dans l'hiver et le froid, contre toute raison, conservé ses habits de vivant. Dans la nuit bleue que glaçait la pluie lente, il dansait immobile, niant tranquillement tout ce qui nous défait, tout ce qui nous abaisse. Plus loin que les ciels morts pendus aux réverbères, plus haut que les forêts de leds, plus lumineux que les boutiques habillées de guirlandes, il indiquait la route claire, le grand chemin de vie qui traverse le temps, ignorant de l'argent, des usages et des jours.
    Le voilà, ai-je pensé, le véritable esprit de la fête. Le voilà, celui qui nous parle d'espoir. Le voilà, celui qui accroche à nos coeurs l'étoile du matin. Le voilà, le messager de liberté, l'arbre au feuillage de lumière et de joie.
    Le voilà, l'arbre de Noël.

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L'homme de Victor Hugo

Publié le par Carole

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    J'ai découvert avec surprise, sur une colonne Morris, qu'on pourrait bientôt voir au cinéma l'Homme qui rit - le tragique et invisible Gwynplaine de Victor Hugo, celui dont le visage torturé, indescriptiblement détruit, ne pouvait pas plus être vu sans horreur que celui d'Elephant man.
    Après tout, pourquoi pas ? Le cinéma redonne, bien souvent, l'impulsion de la vie aux oeuvres qu'on ne lisait plus guère - et tel est sans doute aujourd'hui le cas de ce monumental et terrible Homme qui rit. Et puis, je crois que Hugo, qui fut un adepte des premières expériences photographiques, aurait aimé le cinéma, sa force épique et son pouvoir de fasciner les foules.
 
    Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, sur l'affiche, c'est qu'on avait glissé le nom de Victor Hugo juste sous la première partie du titre - donc sous L'HOMME. Si bien qu'on pouvait lire, aussi bien que L'HOMME QUI RIT,  ce titre en quelque sorte second - ou premier ? - : L'HOMME DE VICTOR HUGO.
    Et tous les reflets mouvants de la ville en fête s'imprimaient en édifices croulants de lumière, en murailles d'or liquide, en manèges tounoyants, en pyramides rouges et tremblantes, récrivant en images incertaines et en échos sans fin cet HOMME QUI RIT, cet HOMME DE VICTOR HUGO, sur la paroi de verre lisse de la colonne Morris, que bleuissait la nuit.
 
    L'écrivain de génie, n'est-ce pas celui-là justement, qui dans son oeuvre capture, pour qu'ils chantent ou qu'ils hurlent, tous les échos des âmes humaines, tous les reflets du monde ? La lumière et l'ombre. L'or et le sang. Le poids des êtres et la mobilité des destins. La vie présente et la vie à venir. Ce qui déjà existe, et ce qui existera dans les siècles inconnus. Ce que l'on voit et ce que l'on verra.
    N'est-ce pas celui qui, posté comme un veilleur sur la route du temps, tend un miroir à l'Homme, ce monstre indéchiffrable et changeant, splendide, hideux, tragique et infini, puis qui lui dit : "regarde" ? 

Publié dans Fables

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