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En cheminant

Publié le par Carole

jeune kaki
 
    Au Jardin des Plantes, que je traverse presque tous les jours depuis plus de vingt ans, j'ai toujours cru qu'il n'y avait qu'un arbre aux kakis. Ce n'est que cet après-midi que j'ai découvert qu'il y en avait en réalité deux.
    Je connaissais le grand et vieux plaqueminier solitaire qu'on aperçoit de la rue. Mais ce jeune arbre, jonglant de tous ses bras de Shiva avec ses fruits colorés, ce jeune arbre devant lequel j'étais passée des milliers de fois, je le voyais pour la première fois.
    C'est qu'on avait planté dans l'herbe, pour égayer l'hiver, des fleurs de papier coloré. C'est que le jour était trempé de brume. C'est que mon oeil avait cheminé, fuyant le gris pour suivre en bas la piste des fleurs bariolées, jusqu'aux fruits tout là-haut qui rayonnaient dans l'ombre. Empruntant cette route nouvelle que la couleur lui proposait, mon regard paresseux avait enfin remarqué les kakis, que jusque-là il ne distinguait pas dans leur bosquet terne et confus.
    Ce n'est pas l'oeil qui voit, c'est l'esprit. Et ce qu'il parvient à distinguer du monde il ne le distingue que parce qu'il a suivi le cheminement qui le lui permettait. D'où vient qu'il y a tant de choses que nul ne voit et qui sont pourtant sans doute parfaitement visibles : mais le chemin si simple qui pourrait y conduire nos regards n'a pas encore été tracé à nos esprits routiniers. 
    Les grands artistes, les grands découvreurs, ce sont justement les jardiniers de la pensée, qui plantent aux allées mornes de l'habitude les fleurs nouvelles et si vives de leur savoir ou de leur fantaisie, ouvrant à nos regards ces clairs chemins qui pourront le conduire un peu plus haut.

 

Publié dans Nantes

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Rue d'Orléans le 9 décembre

Publié le par Carole

rue d'orléans - 9 décembre 2013
 
     Rue d'Orléans, hier soir, il faisait sombre, il faisait froid.
    L'un portait un escabeau taché de peinture et de plâtre, l'autre, chaussé de bottes épaisses, portait des sacs bien lourds qui le faisaient tenir voûté. Ils écoutaient, immobiles, avec une extrême attention, le jeune homme emporté dans une chanson passionnée que peut-être ils lui avaient spécialement demandée.
 
    Deux ouvriers fatigués revenant du travail, écoutant en seigneurs le musicien qui jouait pour eux seuls.
   Un étudiant venu le soir en vélo récolter quelque argent, avant de regagner sa chambre, heureux d'avoir trouvé un public, et qui voyait sur cet humble trottoir la scène illuminée de ses rêves exaltés.
 
    On était presque à Noël. Et ces trois hommes réunis par la pauvreté et par la musique, pour quelques minutes de luxe et de joie, c'était, dans la rue glacée de décembre, comme un miracle paisible. 

 

Publié dans Nantes

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Donjon ruiné

Publié le par Carole

château vendôme rêve
.
     Cette vieille carte postale, je l'ai trouvée hier, au vide-grenier des "cartophiles"... Une vue du château de Vendôme, sur un étal de Nantes... c'était tellement inattendu, cela remuait tant de choses oubliées...
     On lisait au verso ce message laconique et tragique : 
 
affaires mauvaises
 
     Sur la photographie la vieille ruine, perchée sur cette butte qu'à Vendôme on appelle "la Montagne", semblait grise et lugubre derrière son rideau d'arbres sombres – sombres comme la crise comme la guerre comme la haine comme l'angoisse de cette année 33. 
     Dans ce donjon herbeux à demi écroulé, j'ai vu, enfant, au temps où la visite était encore possible, d'affreuses oubliettes qui m'ont valu bien des nuits hantées. Je crois même, en y réfléchissant, que c'est là, précisément là, que j'ai découvert le mal. Devant ce trou profond et noir. Quand j'ai compris qu'on y jetait des hommes tout vivants.
     Affaires mauvaises. Bons baisers de l'été 33. Il avait dû le trouver sinistre, le vieux château là-haut, au jour mauvais des affaires mauvaises, celui qui avait écrit ces mots. Une larme semblait avoir roulé sur le carton taché d'humidité. Versée là-bas sans doute, rue Alfred de Musset à Nantes, où le facteur avait porté le message.
 
    Je l'aimais bien, pourtant, cette haute ruine échevelée de corneilles et de lierre, quand je grimpais l'été sur la Montagne, faisant rouler sous mes pieds d'écolière des cailloux de craie poussiéreuse. Elle était gaie alors, légère et bienveillante, crénelée de nuages très blancs, sous l'ombre bleue du ciel, aux vacances immenses.
 
    Ombres et lumières dorment ensemble tête-bêche au fond de nos mémoires, ces vieux donjons ruinés.
     Il y a là-dedans de longs souterrains noirs qu'il faudrait songer à murer. Et des pentes heureuses qu'on voudrait regravir en rêvant.
     J'ai acheté la carte postale. 
 

Publié dans Enfance

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L'éclipse

Publié le par Carole

     Cela n'avait aucun rapport. "Absolument aucun rapport." Elle était tellement irrationnelle. "Toujours dans l'analogie, dans la pensée magique...". Cela n'avait absolument aucun rapport, évidemment, mais elle avait pensé à Christian. 
     Il avait dû lire l'article, lui aussi. [...]
 
Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles : cheminderonde.wordpress.com
 
 

Publié dans Récits et nouvelles

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L'empreinte

Publié le par Carole

empreinte-feuille.jpg
 
Il l'avait écrasée sous ses souliers d'automne, il avait poursuivi son chemin vers l'hiver, nous laissant son empreinte sur ce bout de trottoir.
Il marche à pas de feuilles, le temps, et des fossiles d'ombres se posent en silence aux pages de nos vies comme au creux de l'herbier.

 

Publié dans Fables

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La lune, le doigt, et l'idiot qui regarde

Publié le par Carole

lune-trident-2.jpg
 
Il y a longtemps que, sur la Place Royale, la ville de Nantes, blanche divinité de la fontaine, a perdu son trident. C'était un fier trident, un vrai trident de dieu des mers. Il avait même survécu aux bombardements de 43. Mais, voyez-vous, depuis tant d'années on s'amusait à le voler... Alors, à mesure que le port s'enlisait, mourant, on l'avait remplacé de plus en plus lentement, ce fier trident... Et un jour on a tout à fait arrêté. La statue est restée ainsi, absurde, avec son index interrogateur et démuni, maladroitement levé vers le ciel. Nantes avait définitivement cessé d'être la fille de Neptune.
 
Je traversais la place par un soir clair et froid, un beau croissant de lune se balançait dans le velours profond de l"heure bleue". C'était pitié de voir la statue désarmée montrer en vain l'astre aux badauds, qui ne regardaient pas là-haut. Si seulement elle avait eu encore son trident...!
J'ai repensé à cette phrase que les hommes politiques et les journalistes ont pris l'habitude de citer sans cesse, et qui a succédé, pour orner les discours, à la fameuse cerise désormais un peu flétrie : "Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt".
Je me suis dit qu'il avait bien raison, l'idiot, de s'intéresser d'abord au doigt qui montre la lune. Car c'est le doigt qui nous dit ce qu'il fera pour nous de la lune : astre des mers aventureuses et des marées prodigieuses s'il s'arme du trident d'un dieu – virgule lointaine oubliée dans le ciel s'il n'est que l'index maladroit d'une vieille statue dépouillée.
Quand on lui montre la lune, si l'idiot observe d'abord le doigt, désarmé ou fourchu, qui la lui désigne, c'est qu'il est sage, au fond. C'est qu'il est de la confrérie de Nasreddin Hodja et du prince Mychkine. 
Bien sûr, allez-vous dire, dérober la panoplie de Neptune, cela ne suffit pas à faire d'un gladiateur un dieu. Mais, croyez-moi, l'idiot, ce sage de tous les temps, s'il se méfie du doigt, saura bien se méfier aussi du trident.

 

Publié dans Nantes

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Les joueurs de cartes

Publié le par Carole

joueurs-de-cartes.jpg
 
Une reproduction des Joueurs de cartes de Cézanne trônait chez mes grands-parents, au-dessus du piano droit et de la petite table de marqueterie qui jouait "La donna e mobile" lorsqu'on en soulevait le couvercle.
Ce grand tableau sombre me fascinait. Il me semblait toujours en le regardant que, si je pouvais en approfondir le sens, je connaîtrais le secret. Le secret de la vie, celui que les adultes me cachaient. Mais jamais je n'y parvenais.
Je les ai revus tout à l'heure dans la rue, mes Joueurs de cartes, encadrés dans la vitre d'un bar. Deux hommes luttant avec les cartes truquées du destin, près de la bouteille aux illusions. Perdus dans les ombres qui passent et les reflets qui fuient. Déjà presque effacés. Mais oublieux de tout, absorbés dans leur jeu, comme s'ils ne savaient pas qu'ils avaient déjà perdu la partie tous les deux. 
Cela n'avait aucun sens. Et pourtant c'était beau, fascinant, bien digne d'être peint. 
Il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu d'autre secret.
 
 

Publié dans Fables

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Peluches et mandarine

Publié le par Carole

peluches-et-mandarine-1.jpg
 
Je n'aurais pas dû prendre la photo. Je ne voulais pas la prendre. C'était comme d'entrer chez quelqu'un par effraction, comme de lui voler son petit chez-soi, au mendiant qui s'était posé là pour un soir, et qui était sorti, juste un instant, laissant à la garde des passants son sac, sa couverture et son duvet.
Je n'aurais pas dû. Mais voilà : il y avait sur la marche, comme au bord de son lit, ces deux peluches toutes aplaties d'usure et de caresses, grises d'âge et tendres d'enfance. Et cette mandarine couchée entre elles deux, luisante comme une petite orange de Noël.
J'ai pensé à un père - ou une mère - à qui on aurait retiré ses enfants, et qui aurait placé là, en effigie, leurs deux poupées. 
J'ai pensé à un être encore jeune, se souvenant de son enfance et lui offrant son pauvre Noël à l'orange.
Je ne savais pas.
Mais je voulais vous dire : celui qui a aimé un enfant, peut-on oublier de l'aimer ? Celui a pleuré pour son enfant, peut-on le laisser pleurer ? Celui qui se souvient d'avoir été petit, peut-on le laisser dormir seul dans le froid ? Celui qu'une mère a bercé, peut-on l'oublier dans la rue ?

Publié dans Fables

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Regarde le ciel

Publié le par Carole

 
regarde-le-ciel.jpg
 
    Tant de messages autour de nous, sur les affiches ou sur les murs, tant de conseils, sages ou fous, sournois appels de commerçants, traces oubliées par les jours, injonctions de passants anonymes... 
— Regarde le ciel..., me disait ce mur gris.
— Oui, lui ai-je répondu, oui, regarde le ciel... Regarde le ciel quand tu traverses le chantier, parce qu'il faut toujours regarder un peu plus loin, un peu plus beau. Regarde le soleil, quand tu prends l'escalier de ciment. Regarde l'arbre, quand tu grimpes à l'échafaudage. Et regarde la mer, quand il fait gris sur le trottoir. Mais regarde aussi le chantier, regarde l'escalier, regarde le trottoir, regarde la poussière.
    Regarde celui qui te dis de regarder le ciel. Et regarde celui qui ne voit plus le ciel.
   Regarde tout ce que tu vois, ciel, objets ou passants, toujours, comme s'ils étaient toujours tout près de toi. Comme s'ils avaient toujours quelque chose à te dire. Ou plutôt, comme s'ils étaient, toujours, eux-mêmes le message.
    Regarde.
 

Publié dans Fables

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Le lézard de Mars

Publié le par Carole

    C'était, dans le journal, un petit article illustré d'une photo, avec un titre en forme de question : "Un lézard sur Mars ?"
  Monsieur Robert approcha lentement la feuille de son visage pour mieux distinguer : sur la photo on remarquait bien une forme verdâtre, mince, avec quelque chose comme des pattes, une longue queue effilée, une tête étroite, recroquevillée, apeurée peut-être... oui, on pouvait dire que cela ressemblait assez à un lézard [...]
 
Suite du récit sur mon blog cheminderonde.wordpress.com
 

Publié dans Récits et nouvelles

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