Je vous souhaite à tous un heureux Noël
Doux comme un arbre bleu aux forêts de la terre
Gai comme un arbre vert au revers de l'hiver
Beau comme un arbre rouge aux chemins de demain
Serein comme une ville irradiant dans sa nuit
Paisible comme une ombre de vieille cathédrale
Tendre comme l'enfance aux ailes d'espérance.
Surveiller le rayon jouets, avant Noël, c'était toujours une tâche difficile. La foule, les enfants qui prenaient des objets et les mettaient dans leurs poches, à l'insu des parents, ou avec leur complicité - et comment savoir quelquefois ? Mais il n'avait pas à savoir. Pas d'états d'âme. Pas son boulot, les âmes [...]
La suite de ce récit de Noël est à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com
Le trottoir s'amusait à parler de mystère...
Mais le seul vrai mystère, c'était, sur son chemin, ces feuilles d'or vivant du ginkgo millénaire.
Et la branche de l'arbre tenant la main des jours pour faire le tour du temps.
Et l'année au solstice faisant tourner sa barque sur la rivière hiver.
Cet éternel retour des saisons de l'espoir qu'on appelle Noël.
Sur le panneau où tant d'espoirs s'affichent, où tant de mots aguichent, le malicieux monsieur Dimanche (clic), celui qui écrit et dessine, inlassable, sur les murs de la ville, avait eu un moment le dernier mot :
"JE NE DIS JAMAIS RIEN."
Ne rien dire pour parler : voilà vraiment le comble du bavard. Mais un autre bavard était passé par là, recouvrant ce bon mot du Dimanche d'un petit Papillon, déjà trempé de pluie et fatigué de braire...
C'est toujours si curieux, si joyeux et si triste, au fond, ces panneaux d'"affichage libre", palimpsestes de nos rues, naïves vanités où chacun s'en vient dire son désir d'échapper au silence, avant de se taire aussitôt, bâillonné par l'affiche plus fraîche qu'un autre vient poser pour parler à son tour.
Je crois bien que le temps est un colleur d'affiches, un monsieur Dimanche en habit de tous les jours, qui marche dans la ville avec ses rouleaux de papier et son grand seau de colle, et travaille, inlassable, tandis que nous courons derrière lui, de spectacle évanoui en fête disparue.
Passant à Blois, non loin de la rue Triboulet, je me suis arrêtée devant cette plaque, qui peine tant à contenir le nom à double fond de "Jean Eugène Robert-Houdin" qu'elle doit en tasser les dernières lettres comme un magicien tasserait le dernier foulard dans sa manche, avant de faire sortir les colombes.
J'ai admiré ce très bel attelage : "horloger-prestidigitateur".
Qu'on puisse être à la fois un simple horloger et un vrai prestidigitateur. Le même et l'autre. Ici-bas et ailleurs. Que la magie soit à portée de chaque artisan de sa propre vie, je n'en ai jamais douté depuis cet après-midi d'été...
...mes grands-parents de Blois, comme nous disions, nous avaient conduits, mes petits frères et moi, à un spectacle de magie, dans le vieux musée Robert-Houdin d'alors. J'étais déjà trop grande, pensais-je, pour m'amuser de si peu, et je m'ennuyais ostensiblement.
Nous avions traversé des salles sombres et poussiéreuses emplies d'étranges instruments, on nous avait fait asseoir devant la scène.
Il me semble qu'un magicien en frac et chapeau à reflets avait fait surgir des montres. Je crois aussi que l'un de mes petits-frères, convié sur l'estrade, avait tenu entre ses mains un chapeau qui recouvrait un lapin, ou une bouteille. Une femme, enfin, j'en suis presque sûre, avait été découpée en plusieurs morceaux, avant de sortir demi-nue et pailletée d'un coffre tout brillant de pierreries qu'aucun sang humain n'aurait pu empêcher de briller.
Mes petits frères regardaient de tous leurs yeux, essayant d'apprendre les tours, moi je ne voulais ni prêter attention à ces pauvres farces, ni bien sûr applaudir ; j'avais quatorze ans, j'avais l'intention de m'ennuyer comme un esprit supérieur et distingué, et je ne voulais pas condescendre à m'amuser d'un aussi médiocre spectacle.
Mais, à ma grande honte, mon grand-père battait des mains, poussait des exclamations de joie, il était si heureux, il riait tant, il était redevenu un enfant. Jamais je ne l'avais vu aussi joyeux... et si jeune...
Si jeune.
C'était peu de temps avant sa mort.
Extraordinaire magie du bonheur.
Passant rue Kervégan, je me suis souvenue de cet incendie, la semaine passée, dont on avait parlé dans les journaux. Et de ces précisions qui m'avaient émue : c'était un peintre qui vivait dans l'appartement incendié, et toutes ses oeuvres avaient été détruites. J'avais imaginé en lisant cela l'immense, l'inconsolable douleur de l'artiste.
Un mendiant se tenait devant la maison dévastée, et répondait aux questions des passants. On voit de tels mendiants dans bien des tragédies. Celui-ci était boiteux et porteur de béquilles, ainsi que l'exigent les mythes. Tranquille et souverain, il avait l'air de tout savoir, et, du bout moucheté de l'une de ses béquilles d'acier, désignait en parlant la porte endeuillée et noircie, comme l'ange de la peste, autrefois, aurait lancé sa flèche.
J'ai pensé à ces millions d'oeuvres détruites dans l'immense brasier des siècles écoulés. A la cendre glacée de l'oubli. Au nombre infime des chefs-d'oeuvre qui ont pu parvenir jusqu'à nous. A l'irréparable désastre de tant d'espoirs à jamais effacés. Aux merveilles égarées, aux trésors consumés. Et à ces perles rares, aussi, roulant dans l'incendie, solitaires et fragiles, et sauvées cependant, et grandissant sans fin, à la flamme du temps, pour devenir des phares.
Et je me suis demandé si c'était vraiment lui, le mendiant, celui qui choisissait. Car enfin, il faut bien qu'il y ait, quelque part, un juge impitoyable, un ange clairvoyant, un fou vaticinant, un dieu féroce ou sage - quelqu'un enfin, qui passe et qui désigne, qui fouille dans les braises, qui pèse et qui choisit...
Derrière les grilles, il y a ceux qui marchent silencieux dans les allées tracées, évitant de poser leurs regards sur les portes murées. Et ceux qui hurlent leurs noms de fous en lettres hautes et flambantes, pour barrer le passage au désespoir qui frappe, à grands coups de bélier, aux parois de leur coeur. Et puis tous ceux encore qui s'assoient dans la boue, la tête entre les mains, boxeurs déjà vaincus du combat qu'on leur a refusé.
Partout les vieux châteaux s'écroulent. Permis de démolir.
Partout Babel grandit sur les gravats, sans plus savoir de quel ciel elle était le pilier, sans plus savoir de quel dieu elle était le palais, portes et fenêtres à jamais closes sur les rêves écroulés. Plans égarés depuis que le progrès, cet architecte désinvolte, a pris la fuite avec la clé.
Ce qu'il faudrait, c'est trouver là-dedans un petit sentier de traverse, encore fleuri de violettes et de mésanges bleues, qui conduirait vers le bonheur. Ou bien un balcon sur la mer, pavé de sable et de coquillages comme un chemin de petit Poucet.
Et on le trouvera.
On m'avait dit qu'il habitait dans cette rue où je passe tous les jours. On me l'avait dit mais je ne le croyais pas. Car c'est un écrivain que j'admire. Comment un écrivain que j'admire pourrait-il emprunter le même trottoir que moi, comment pourrait-il s'affronter au même horizon barré d'immeubles sombres, et regarder passer dans le ciel vide les mêmes nuages gris ? Donc, je savais qu'il habitait là mais je n'y croyais pas.
Mais voilà, hier après-midi...
...je passais dans la rue comme chaque jour, lorsque j'ai vu le facteur se pencher vers un interphone. Il a appelé : "Monsieur Michon ? J'ai déposé un paquet pour vous dans le hall... "
J'ai entendu une vois grésiller dans l'interphone. Je ne sais pas ce que monsieur Michon a répondu, mais il avait l'air embarrassé par le cadeau du facteur, qui a insisté : "Vaut peut-être mieux pas le laisser là..." A nouveau la voix a grésillé, à l'autre bout de l'interphone, venue de la pièce où se trouvait monsieur Michon. Le facteur a dû être rassuré cette fois, car il a repris son chemin, sur son grand vélo noir chargé de lettres et de paquets.
Pas de doute, l'écrivain que j'admire habite dans cette rue où je passe tous les jours, il reçoit des paquets qui l'encombrent, sa voix grésille dans l'interphone d'un hall d'immeuble, il est monsieur Michon pour son facteur et pour son boulanger. Banale est sa vie, banale est sa rue, banal est son nom. Son oeuvre seule n'est pas banale. Et c'est là justement la seule chose que l'on doive admirer : que dans le carton des jours ordinaires il ait su découper sa couronne et la repeindre à l'or. On dit que Verlaine, devenu vieux, avait ainsi acheté un pot de peinture dorée, dont il avait repeint pour se distraire son mobilier de pauvre.
Le roi vient quand il veut, il se promène sur les trottoirs crottés, récupère des cageots pour y poser ses livres, bavarde avec l'interphone qui rouspète et crachote, et reçoit pour Noël des paquets emballés de papier kraft. Peut-être même s'en va-t-il boire un coup, parfois, sur son vélo de facteur, au café des poètes.
Bonjour monsieur Courbet. Bonjour monsieur Gauguin.... Bonjour monsieur Michon.
C'est l'heure où le couchant se penche aux rives frissonnantes, où la rivière se creuse un chemin d'or et d'ombre aux grands bois de la nuit.
Soudain il y a cet instant juste un instant, quand la mouette rêveuse entre dans la lumière et se trempe au soleil.
Puis glisse sans regret, silhouette si frêle, vers ce noir où s'efface tout ce qui sur l'eau passe.
Et le flot se referme comme un grand oeil ridé.
S'égarer place Viarme sur le marché des brocanteurs, c'est faire un parcours bien étrange.
Plonger ses mains profanes dans le carton crevé où agonise en un petit tas de photos passées ce qui fut l'existence de Marie-Josèphe Augustine.
Regarder se mêler aux feuilles de l'automne les toiles méprisées par la postérité, et les voir rayonner, dans leur coin d'ombre, d'un doux éclat tranquille.
S'étonner de retrouver, heureux et bavardant, posés près d'un fourgon tagué, les deux éléphants de bois, symboles d'éternité, qui ornaient le cosy depuis longtemps disparu de mes grands-parents. Remarquer le mot DREAM, sur la paroi souillée de la camionnette, écrit en lettres rouges qui bavent comme on pleure, et s'étonner encore.
Méditer devant la naïve et vermeilleuse assiette où se célèbrent, en décalcomanies de roses tendres et vers luisants de mirliton, quarante-cinq ans d'amour à jamais ternis par la mort.
Saluer au passage le beau Christ solitaire égaré au pique-nique des jardins de Brahma. S'amuser de cette (S)Cène incongrue. Se souvenir d'avoir vu chez le même brocanteur, posé sur la même table, un grand buste du général de Gaulle, entouré d'une foule de tasses à café et d'assiettes à dessert.
Compter les trois reflets de la poupée qui danse dans le rose, multiple et immobile, sur son unique pointe, avant que ne se ferme la boîte aux illusions.
S'égarer chez les brocanteurs, c'est triste et c'est cocasse. C'est parcourir en promeneur un grand tableau de vanité baroque, en savourant toute l'insolence d'une oeuvre de Duchamp. C'est traverser un grand cimetière des illusions et se laisser entraîner dans un vaste happening.
Et puis, en s'en allant, on ne peut s'empêcher de jeter un dernier coup d'oeil sur l'étiquette effacée d'une malle qui bâille. A grand peine on déchiffre les mots pâlis et déchirés :
"Final destination". Sans doute la seule morale à tirer du voyage.