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Catastrophes et week-end

Publié le par Carole

tempete---bus.jpg
 
 
    C'était ce matin dans le bus. Il pleuvait à coeur fendre, comme il pleut chaque jour depuis... oui, depuis quand au juste ? 
    Derrière moi, deux pleureuses commentaient.
    —Dire qu'il pleut encore...
    —Une catastrophe...
    —Les humains ne savent pas respecter la nature : elle se venge...
    —Exactement. Et il y en aura d'autres, des catastrophes...
    —Des malheurs...
    —D'ailleurs ce sera bientôt la fin du monde, c'est certain...
    —... Alors bonne journée, madame !
    —Bonne journée, et surtout, bon week-end !
    Les catastrophes, c'est connu, ça n'a jamais empêché de passer une bonne journée, ni de s'affairer le week-end, et c'est ainsi depuis que la pluie est pluie et depuis que les pleureuses sont femmes. Les catastrophes, pour la plupart des gens, cela se situe dans la zone superficielle des conversations, et cela n'atteint jamais la zone plus profonde des préoccupations réelles, car il y a entre les deux tout un mur opaque de petits soucis et de menus travaux, de remarques infimes et de joies minuscules, qu'il est presque impossible de franchir, tant il soutient nos vies, trop humbles et routinières pour se hisser au niveau du malheur.
    Et comme nous passions justement rue Joffre, devant la statue de Louis XVI, je me suis souvenue du citoyen Guittard, le "bourgeois de Paris" qui tenait son journal pendant la révolution, et notait chaque jour la température de l'air et l'état du ciel au-dessus de son bout de jardin. Le 21 janvier 1793, par exemple, il faisait 3 degrés, le temps était humide et il brouassait un peu. Il l'a consigné dans son cahier, avant de noter que ce jour-là, quelque chose, tout de même, s'était produit, du côté des Champs-Elysées. Le lendemain, qui était un mardi, il a dîné avec monsieur Straphorelli et madame Sellier ; il ne faisait encore que 3 degrés, mais il ne gelait presque pas.
   Après tout c'était froid, tout de même, 3 degrés. Et ce ciel brouassant, ce n'était guère plaisant. Au moins il fait bien doux, aujourd'hui, tandis que la pluie s'époumone à verse et hallebardes. Un temps pour voyager en bus. Ou dîner bien au sec.
   Alors, en attendant les malheurs, les catastrophes et la fin du monde... Bonne journée, et, surtout, bon week-end !

 

Publié dans Fables

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Virtual times

Publié le par Carole

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    Encore une conversation dans le tramway. Une bribe, une bulle arrachée à l'album infini de tant de vies qui me côtoient et qui m'échappent. Des mots qui passent et qui s'arrêtent à moi, juste un instant, avant de disparaître, alors que j'attends de descendre.
    Des copains derrière moi se souviennent d'un copain... mais il est mort.
    — Tu l'as su, qu'il était mort ?
    — Oui, je l'ai su par X., bien après... Je me demandais ce qui se passait... Je lui avais envoyé plusieurs messages et il n'avait pas répondu. Je me disais, tout de même, ça ne se fait pas... (rires gênés, tandis que je descends.)
 
    C'est vrai, tous ces messages, ces appels, ces textos, ces adresses virtuelles et ces numéros, et ces forums et ces blogs, toutes ces traces numériques que nous avons semées un peu partout, cela doit continuer un moment, quand on est mort... Combien de temps en recevons-nous encore, après, des messages, des appels, des SMS et des textos, sur nos réseaux et nos mobiles ? Et combien de temps flottent-ils encore sur la toile, tous ceux qu'un jour nous avons envoyés ?
    Nous sommes la première génération, dans toute l'histoire de l'humanité, à fabriquer sans cesse et à jeter autour de nous des milliers de petites ombres bavardes, qui nous survivront quelque temps, indécises, dans la cacophonie, avant de disparaître lentement, de plus en plus légères, de plus en plus absentes aux abonnés du web.
    Etre mort, c'est simplement cela, sans doute, aujourd'hui, aux temps virtuels. Ne plus répondre aux messages. Chuter de la première à la cinq-centième page "Google". Clignoter de plus en plus faiblement sur l'écran. Ne plus être géolocalisable. Devenir franchement insociable. Et perdre ses derniers amis facebook.
    Quelque chose de difficile à imaginer, en effet, quelque chose qui ne se fait pas, quelque chose de bizarre et qui suscite une forme de gêne.
    Car dans le monde du virtuel nous sommes tous déjà un peu fantômes. Et les fantômes n'aiment pas qu'il y ait plus fantômes qu'eux-mêmes.

 

Publié dans Fables

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Attente

Publié le par Carole

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La nuit allongeait dans les rues son grand corps de velours. La pluie sur le trottoir sanglotait en ivrogne. Je me hâtais de fuir.
Et voilà que ce mot est venu à ma rencontre. Attente. Un mot rêveur et lent, qui flottait devant moi, fantôme à la fenêtre. Attente. Toujours ce mot m'avait accompagnée, et maintenant il était là, vert et ténu comme l'espoir, m'appelant doucement sous la lampe du soir.
Puis quelqu'un a éteint la lampe. La nuit la pluie mes pas en fuite. Je n'en saurais pas davantage.
C'était comme un tableau d'Edouard Hopper, ai-je pensé ensuite. Quand on reste derrière la vitre, arrrêté sur le seuil, que rien n'a commencé, qu'on ne sait pas encore, que déjà tout se fige. Attente.

 

Publié dans Fables

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Alimentation café

Publié le par Carole

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    C'était encore à Chantenay, au coin de cette impasse de la Conserverie, où rouille le passé près des usines mortes.
    Blottie dans l'ombre et dans la mousse comme un spectre très las, elle faisait signe encore, de son bout de rideau secoué en mouchoir, la boutique d'avant. Elle aurait tant voulu qu'on tende un peu l'oreille, maintenant qu'on allait la repeindre et la refaire à neuf.
    S'adressant dans le vent à la pluie et aux chiens, aux passants, au néant, elle répétait tout bas :
    " Ici on faisait halte après l'ouvrage, pour boire un coup de rouge et un verre de courage. 
    Ici on pesait lentement le beurre et la farine, et trois sous de persil, et dix sous de café. 
   Ici on buvait sec, à la santé des ouvriers, à l'avenir radieux, et au présent pas bien fameux.
    Ici on débitait les jours par tranches épaisses et dures, et le bonheur en petits dés comme lardons à frire. 
    Ici on médisait et on compatissait, on pleurait la misère et on faisait crédit. 
    Ici, disait le spectre de sa voix de mémoire, non ce n'était pas mieux, c'était même un peu triste et toujours un peu sale, ça sentait le charbon, le houblon, la ferraille, et aussi la sardine, mais c'était l'existence. Avant. "
    Et sans répondre je me suis arrêtée pour regarder passer, par le grand oeil crevé de la vitre brisée, les ombres oubliées de la vie qu'on vivait. Avant.

 

Publié dans Nantes

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Gouttes d'eau

Publié le par Carole

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La branche s'accrochait entre nuages et terre.
Oiseaux inverses ensemble elles s'étaient posées,
pour attendre la chute en tremblant de lumière.
 
Sur son pipeau le vent, ce vieux baladin sombre,
soufflait en grimaçant la mélodie des ombres.
Elles ouvraient grand leurs yeux sur les jardins du jour. 
 
Sertis dans leurs regards tous les arbres dansaient,
 tous les ciels s'emperlaient, tous les gris s'habillaient
d'une peau de pluie douce à caresser d'amour. 
 
Et simples gouttes d'eau qu'arrondissait l'instant
elles s'en allaient tomber pures et sans un regret 
comme cailloux de nacre dans l'écrin du néant.
 

 

Publié dans Fables

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Le présent n'est pas une ardoise magique

Publié le par Carole

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    J'étais allée voir le ravissant pavillon chinois de Chantenay - il faudra que je vous le montre, un jour, ce rêve de capitaine retour de Chine, fiché sur les ruines d'un moulin de village... En redescendant vers l'arrêt du tramway par un lacis de rues ouvrières et charmantes, près de l'impasse de la Conserverie, j'ai rencontré le visage cabossé de ce panneau...
    Il en avait soutenu, des luttes, il en avait pris, des coups, pour être aussi froissé, tuméfié et suant qu'une face de boxeur... Je l'ai respectueusement salué...
    Le Globe... le journal parisien des jeunesses romantiques, l'éphémère apôtre du saint-simonisme... Le croiser là, dans cet ancien quartier de Chantenay, que l'on traverse par les grands boulevards de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité, où l'on peut flâner rue Danton, en passant par la rue des Girondins ou la rue du 4 Août - à moins qu'on ne préfère la rue Blanqui...-, dans ce petit îlot de République où passent avec la Loire le souffle haletant des révoltes et l'haleine rougie des enthousiasmes en lutte, ce n'est qu'à moitié surprenant.
     Tout de même tout de même tout de même c'est bien curieux...
    Vraiment, je ne sais pas quel adjoint au maire a eu un jour l'idée extraordinaire de planter, comme un arbre bleu de liberté, ce totem à face de lutteur, pour rappeler le souvenir presque effacé du Globe, mais cela me ravit.
    Et qui donc a eu cette autre idée extraordinaire, de coller au-dessous ce papier, minuscule affiche qui proclame à la pluie, au vent, et aux passants hâtifs, que LE PRESENT N'EST PAS UNE ARDOISE MAGIQUE ?
     Non, le présent n'est pas une ardoise magique qu'on efface d'un geste, ce n'est qu'une vieille éponge lourde et mal égouttée, et le passé transpire par tous ses pores...

 

Publié dans Nantes

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Le violoniste D.

Publié le par Carole

       Que l'être humain soit infiniment complexe, qu'il soit impossible de juger autrui sans se tromper, ce n'est pas à moi que vous l'apprendrez... j'ai vu tant de cas, j'en ai tant entendu, de ces plaidoiries contradictoires où tour à tour le même être vous apparaît pitoyable ou monstrueux, tandis que [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com
 
 

Publié dans Récits et nouvelles

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Un reflet en 4G

Publié le par Carole

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Reflet dans une flaque d'une affiche publicitaire vantant la "4G" de Bouygues - Nantes, cours des Cinquante otages, 27 janvier 2014
 
 
 
   Le trottoir était noir, la pluie battait sa coulpe et la ville pleurait dans la nuit sans remède.
   Soudain, j'ai vu dans la flaque, à mes pieds, ce visage en 4G qui venait de tomber d'une affiche, et qui me souriait, heureux comme un hasard, double comme un reflet recommençant le monde.
   Car chanter sous la pluie, et marcher dans les flaques, c'est avancer très loin, sur des chemins d'enfance, glisser par la 4G du rêve sur la pente irisée de toute fantaisie. Et s'en aller, joyeux, sur les brisées de l'improbable et les sentiers perdus de ce grand bois dormant que cache toute ville.
   Rêverie de la pluie, malice de la flaque, qu'aucun panneau publicitaire n'enfermera jamais.
 
 

Publié dans Fables

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Musique du monde

Publié le par Carole

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     Et maintenant qu'elle est finie, cette Folle Journée, que le silence s'est fait et qu'on est un peu triste, il ne nous reste plus qu'à la chercher ailleurs, la musique du monde, la vaste symphonie des hommes et des choses.
    Dans la rue, tout à l'heure, par exemple, n'était-ce pas encore une musique étrange et toujours neuve qui se jouait devant moi, sur ce grand clavier de béton où chaque passant venait poser son ombre, plaquant, sans y penser, quelques notes rapides et décidées comme des coups de klaxon ?
    De la musique sérielle, peut-être, à vingt-sept sons ? Ou bien plutôt de la musique spectrale ?
     La musique des rues et des jours ordinaires, celle qui bat la mesure de nos vies sans éclat.
    Une belle musique aussi, riche et profonde, et toujours nôtre, qu'il faudrait seulement apprendre à écouter - et à chanter. 
 
 

 

Publié dans Fables

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Le piano rouge

Publié le par Carole

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     Je suis allée voir le piano rouge.

    On l'a posé dans le grand hall de cet hôtel de luxe qu'on a installé récemment dans l'ancien Palais de justice de la ville. Dans ce qui fut la salle des pas perdus, devant la salle des Affiches, tout près de l'entrée de la Cour d'Assises...

    Il y a d'abord eu cette impression d'extrême étrangeté, à voir se superposer le vieux pavé de marbre battu par les pas des prisonniers et la moquette feutrée du grand palace, la touffeur amollie des fauteuils et les hauts murs solennels et raides comme la justice, l'appel clinquant du bar et la pénombre du vestibule sévère comme une robe de juge.

    Puis je suis allée caresser le piano rouge : il est venu de loin, exprès pour la Folle Journée, et il est l'un des seuls au monde à être ainsi laqué de rouge. Presque tous les pianos sont noirs, aujourd'hui. Il y en a encore qu'on fabrique en bois brun, et, assez souvent, on rencontre des pianos blancs. Mais on ne fabrique presque jamais de pianos rouges, parce que chacun sait que lorsqu'on joue, il ne faut penser qu'à la musique, surtout ne pas se laisser distraire par l'éclat de l'instrument, seulement s'absorber dans la rigueur austère de la partition.

    Pourtant, quand les pianistes jouent sur le piano rouge que l'on vient d'apporter ici, ils oublient aussitôt qu'il est rouge, ils oublient aussitôt qu'ils se trouvent dans le hall d'un palace, ils oublient aussitôt qu'il y avait jadis une cour d'assises où l'on condamnait à mort et aux travaux forcés. Ils oublient tout, pour ne penser qu'à la musique. 

 

    C'est beau d'avoir fait venir à Nantes ce piano rouge. C'est un symbole qui me convient. Car il me semble que la Folle Journée ressemble tout à fait à ce piano rouge.

    L'événement est ici si important et si brillant, que tout nous détourne d'abord de la musique. Le bavardage médiatique, les affiches posées sur la façade des banques, la difficulté de se procurer des places, le dépit de n'avoir pu prendre celles qu'on aurait souhaitées, la rancoeur de savoir que des passants fortunés logés dans des hôtels de grand luxe se sont vu réserver des billets pour les spectacles auxquels on aurait tant voulu assister, mais qui affichent déjà complet. La joie enfantine et la petite fierté d'être de ceux qui tout de même "en seront", et le doux, le long plaisir de l'attente. La mauvaise conscience, ensuite, d'avoir tant dépensé pour des concerts, alors qu'il y aurait d'autres choses, bien sûr, tant d'autres choses qu'il fallait, qu'on devait acheter... La vague honte aussi d'être heureux et futile alors que tout souffre et meurt et pleure, sur cette Terre si rude. La foule enfin, les vigiles, l'immensité labyrinthique du Palais des congrès, les files d'attente interminables, les stupides chaises de bois dans les salles sans gradins, les imbéciles qui s'entraînent à tousser, et qui, à coup sûr, vont tout gâcher... Avant que "ça" ne commence, c'est tout un éclat rouge et nerveux qui nous distrait et nous agite.

    Puis les musiciens entrent. Et soudain il n'y a plus rien d'autre que la musique. La musique. La musique. La musique.

 

 

 

 

 

folle journée 2014

Nantes, Palais des congrès, Folle Journée 2014

 

 

 


Publié dans Nantes

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