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Les colombes

Publié le par Carole

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C'était grand branle-bas au Jardin : quelqu'un avait jeté aux oiseaux tout un sachet de croûtons et de miettes, avant de s'en aller comme un dieu, indifférent au résultat de l'expérience.
On se pressait, on se battait, on se poussait, on jouait de la plume et du bec, pour attraper sa part et bien plus que sa part.
Et les blanches colombes n'étaient pas les moins âpres.
Et les blanches colombes n'étaient pas les moins avides.
Pourquoi en ai-je été surprise ?

 

Publié dans Fables

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Au confort moderne

Publié le par Carole

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Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scooter
Un atomixer
Et du Dunlopillo
(Boris Vian, Complainte du progrès)
 
 
A Trentemoult, c'est l'une des maisons les plus filmées, l'une des plus photographiées. Une star. Une reine bleue.Vieillotte et limpide comme un rêve de bord de l'eau, elle attire le regard quand on arrive par le fleuve, sur la petite navette. Si on s'approche, à pied, on découvre sans surprise que la boutique close donnait rue du Passage. On en devient un peu mélancolique, un brin méditatif.
Que pouvait-on bien vendre ici ? Des presse-légumes et des écrase-citrons ? des ouvre-boîtes et des perce-paniers ? des frigidaires et des atomixers ? des cuit-magix et des croque-badauds ?
Au confort moderne, dit l'enseigne désuète.
Nous rappelant ainsi que, de tout ce qu'aujourd'hui nous croyons désirer, de tout ce que nous pensons admirer, ce qui vieillira le plus vite, ce qui demain se fanera sans rémission dans sa poussière de temps, ce sera, à coup sûr, ce qui nous semblait justement le plus actuel, le plus branché, le plus in, le plus top, le plus contemporain, enfin le plus moderne - comme on disait encore, en ce temps-là.
 

Publié dans Nantes

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La petite librairie

Publié le par Carole

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En rangeant ma bibliothèque, j'ai retrouvé tout à l'heure ce mince volume... la couverture était un peu cornée, la tranche bien passée, et le papier s'acidifiait,
 
mais tout était intact et je l'ai aussitôt revue...
...la petite librairie...
C'était à Vendôme, dans le faubourg Chartrain, une toute petite boutique pauvre. Dans la vitrine on apercevait quelques volumes jaunissants. Derrière, dans des profondeurs d'océan, flottaient des rayonnages parcimonieusement chargés de quelques livres de poche. 
Moi, j'attendais chaque soir le car qui devait me ramener au village, luttant contre le froid et l'ennui en arpentant les rues. Chaque soir je tombais en arrêt devant la petite librairie. Chaque soir j'imaginais ce que ce serait d'entrer, de choisir parmi tous ces volumes inconnus, de sortir de l'argent de mon petit porte-monnaie, et d'emporter un livre. Mais entrer ? Moi ? Comment aurais-je pu ?
J'étais en sixième, et si timide, jamais je n'étais entrée seule dans une librairie. 
Un soir... il pleuvait, j'errais sans parapluie, glacée, dans le faubourg obscur. La boutique était éclairée. Il m'a semblé que derrière la vitrine quelqu'un me faisait signe. J'ai pris mon élan, et, surmontant ma peur, j'ai poussé la porte.
Il y a eu ce tintement grêle de la clochette, ce regard rapidement approbateur de l'homme qui veillait derrière le comptoir. Et les livres, qui murmuraient déjà, chaleureux, empressés. J'avais cinq francs dans mon cartable. Cinq francs seulement, cinq francs exactement, je m'en souviens très bien.
Tous les livres appelaient. Lequel choisir ? Je ne connaissais aucun auteur, aucun titre. J'ai cherché sur les étagères quels ouvrages on pouvait acheter pour cinq francs. Il y en avait très peu, bien sûr. Soudain j'ai vu ce mince volume... La Dame de pique, Pouchkine. La couverture était bien un peu effrayante, mais le prix était bas, et le titre extraordinaire.
J'ai sorti le volume de son rayon, très vite, n'osant pas même le feuilleter, et je l'ai abattu comme une carte sur le comptoir. Je tremblais. Le libraire toujours silencieux a soupesé lentement le livre, comme un juge aurait soupesé mon âme, supputant toutes les possibilités de bonheur qu'il recelait, approuvant silencieusement mon choix d'enfant. 
Je suis revenue ensuite bien des fois dans la petite librairie, économisant tout ce que je pouvais, me privant impitoyablement de carambars et de scoubidous, attendant parfois des semaines pour amasser de quoi emporter les livres les plus épais.
Jamais le libraire ne m'a dit un mot. Toujours il soupesait les livres que je choisissais, approuvant silencieusement, avant d'accepter ma monnaie.
 
J'ai sorti de la bibliothèque le mince volume usé, pour le soupeser à mon tour. Et je l'ai trouvé étrangement lourd. C'est qu'il portait en lui tous les autres, sans doute, tous ceux que je devais accumuler par la suite. La tranche autrefois rouge était désormais presque rose. Une dame de coeur, finalement, cette Dame de pique.  
Et j'ai pensé, presque en pleurant, qu'il devait être mort, ou bien très vieux, aujourd'hui, aussi mort, aussi vieux que les Vieilles de la couverture, le libraire qui m'avait accueillie, un soir d'ombre et de pluie, dans son humble boutique toute éclairée de livres, comme au seuil d'une vie.
 

Publié dans Enfance

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Immobilité

Publié le par Carole

    Quand Sophie Clémençon avait posté, la veille, sa lettre de candidature pour le poste de chef de rayon expert surgelés qui allait être vacant, elle s’était préparée à quelques difficultés. Elle savait que les postulants seraient nombreux, que la direction allait recevoir des paquets de CV par centaines. Elle savait bien aussi qu'on choisirait à la fin quelqu'un d'autre qu'elle, évidemment, quelqu'un de l'extérieur, quelqu'un de bien plus jeune, avec des diplômes et des références. Mais elle avait tenu à envoyer la lettre. À ce qui s'était passé ensuite, à tout ce que cette candidature absurde allait déclencher, comment aurait-elle pu s'attendre ? [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Juin

Publié le par Carole

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M. Chat - Trentemoult
 
 
Comme un chat qui s'étire
l'après-midi s'allonge
à l'ombre des vieux murs.
L'été dort au jardin
bourdonnant de chaleur
sous la touffeur d'orage.
 
De son oeil fixe et blanc
sans paupière et sans rêve
le temps ce vieux cyclope
le regarde dormir.
 
Bientôt le soir qui rentre
mènera vers l'anneau
son grand chien d'ombre bleue.
Le temps face de lune
froidira ces pierres mornes
qui lézardent au soleil.
 
Mais l'été sur son mur
somnole comme un chat
dans la torpeur de juin
qui ronronne au jardin.
 

Publié dans Fables

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Gigantomachie

Publié le par Carole

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   7 juin 2014 - Parade de Royal de luxe
 
 
Hier, à Nantes, c'était jour de sortie des géants.
Comme tout le monde, j'ai photographié la grand-mère, Gargamelle à chignon qui parcourait les rues sur son fauteuil roulant comme d'autres font aller la Terre depuis leur trône doré.
 
La photographiant j'ai photographié toute une grappe de photographes au balcon.
Et, comme à chaque fois que je fais face à d'autres photographes en foule – ce qui ne m'arrive après tout pas si souvent –, j'ai eu cette drôle d'impression de culpabilité... l'impression bizarre... d'être... oui, d'être un tueur parmi une bande de tueurs.
C'est que c'est très dangereux, en fait, un appareil-photo, c'est même une arme mortelle.
On vise, on appuie sur le déclencheur, et, clic, on assassine le présent qui retombe vaincu dans un coin de machine. Clac : "je vois" est devenu "j'ai vu"... Il ne reste plus ensuite qu'à ranger les images dans leur boîte à mémoire, comme un chasseur de papillons cloue au fond d'un casier à poussière les beaux insectes morts cueillis dans un frisson d'été sur les branches du jour.
Pourtant, je vous le demande, qui, aujourd'hui, se fatiguerait à construire une marionnette géante, s'il n'était pas certain qu'on la photographiera des centaines et des milliers de fois, sous toutes les lumières et sous tous les angles ? Et qui sortirait de chez soi pour regarder une simple marionnette, fût-elle géante, s'il n'était pas assuré de pouvoir la photographier ?
Ce n'est pas la grand-mère des géants qui est la reine de ce monde. C'est l'image. Et nous, que sommes-nous, nous qui chassons les photos comme nous conjuguerions le temps, au passé et au plus-que-passé ?
Tous vieillards.
Tous marionnettes.
 

Publié dans Nantes

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Boom

Publié le par Carole

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Au détour d'une rue je l'ai enfin trouvé, mon petit ange de la ville, celui qui dépose partout, pour guider nos pas spleenétiques, ses pochoirs découpés dans des bouts de nuages.
Caché dans l'ombre d'un vieux mur, léger comme l'insolence, menu comme l'espoir, noir comme l'encre où l'on met à tremper les fleurs de poésie.
Oiseau de feu, ange sorcier, Icare ou Cupidon, impossible gamin, souverain versatile en son pays de Fantaisie, 
il brandissait sa bombe à malices comme un sourire dégoupillé, menaçant les murs gris de les repeindre en vie.

 

Publié dans Nantes

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Une virgule

Publié le par Carole

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    Jardin des Plantes de Nantes - 3 juin 2014
 
 
On venait de planter au Jardin quelques panneaux papillonnants. 
Je me suis approchée, butineuse, curieuse de savoir ce qui fleurissait là... C'étaient de courtes notices, aériennes et savantes, sur les papillons du département. Sur les vivants, et sur les morts aussi, ceux qui gisent oubliés dans les tiroirs funéraires de notre Muséum.
Je suis tombée en arrêt devant cette épitaphe au papillon Virgule, pris au filet, une dernière fois, "dans le dernier quart du XIXe siècle", et depuis introuvable. Probablement jeté, comme tant d'autres, à la grande décharge des espèces éteintes.
 
Papillon Virgule, je ne t'ai pas connu et pourtant tu me manques comme tu manques à tout ce qui t'ignore.
C'est si peu de chose, allez-vous dire, une virgule effacée dans cette longue phrase que nous écrit le monde, depuis tant de millénaires qu'il est monde. Une virgule raturée, cela ne se remarque vraiment plus, quand le livre a commencé à jaunir et à perdre ses pages. Une pauvre virgule gommée aux pesticides sur un vieux parchemin... allons ! il y a tellement, tellement plus grave !
Pourtant, qu'il manque une virgule, une simple virgule... C'était un poème, cette phrase, tout était si parfait, tout si bien à sa place... Qu'il y manque une virgule, une simple virgule qui dansait au soleil dans son coin de prairie, il semble que tous les mots s'en trouveront boiteux.
 

Publié dans Nantes

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Un bouquet

Publié le par Carole

bouquet passage à niveau
 
Contre le grillage de la voie ferrée, derrière le passage à niveau, dans cette rue que j'emprunte depuis peu, ce bouquet, hier soir. Exprès acheté et posé là précisément par quelqu'un qui savait et qui se souvenait.
Quelle tragédie, accident ou suicide, commémorait-il solitaire ?
Et celui qui en fut la victime, était-il jeune, était-il vieux ? Souriait-il ou pleurait-il, à l'instant du malheur ?
Les fleurs me regardaient mais elles restaient muettes. Je n'ai rien pu savoir.
 
Nous étions le 3 juin, c'était à Bouguenais. Âme inconnue, légère comme pétale, qui repose dans l'herbe et la poussière des voies, reçois ce mince bouquet de mots que je t'offre à mon tour. 
 

Publié dans Nantes

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Présentement

Publié le par Carole

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    Passage Pommeraye - Nantes, 2 juin 2014
 
 
Au Passage, les hasards de la restauration avaient fait ressurgir hier cette affiche, sous un vieux miroir déposé. En quelle année l'avait-on collée là ? En 1843, quand on avait ouvert les premières boutiques, ou en 1848, quand la crise avait tout englouti ? Fantôme déchiré sur sa croix de bois sale, elle était aussi émouvante qu'une enseigne de Pompéi :
 
MAGASIN
A
LOUER
 
PRÉSENTEMENT
 
Présentement présentement présentement, le vieux mot palpitait sur le bois comme un coeur encore vivant dans les plis du papier presque intact.
Présentement présentement présentement...
C'est si peu de chose, le présent, on le gaspille, on le dissipe, on l'imprime, on l'oublie, on le voue sans remords au commerce, aux efforts qui s'effacent, au néant agité des affaires humaines.
Pourtant, que le plus humble lambeau de ce présent disparu parvienne intact jusqu'à ce nouveau présent dérisoire qu'on appelle aujourd'hui, il en devient si précieux qu'on pourrait en pleurer. C'est qu'il a traversé le temps, ce mystère des mystères.
Et que présentement présentement présentement, ils sont moins que poussière, ceux qui croyaient au présent comme on croit en soi-même.
 

Publié dans Nantes

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