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Mes soldes

Publié le par Carole

presse oeufs carrés
 
J'ai failli acheter une presse à oeufs carrés. A prix écrasé. 
Elle me plaisait encore plus que l'essoreuse à fraises à anse rétractile, ou que le frise-tomates à motifs de dentelle, qui à vrai dire n'étaient vendus qu'à prix cassé.
Finalement j'ai réfléchi : je reviendrai, je repasserai pour la dernière démarque. Quand on liquidera, à prix broyé pulvérisé, les cocottes électriques qui pondent des glaçons plats comme des écrans. Ce sera beaucoup mieux.
Des millénaires de civilisation derrière ces merveilles en plastique. Et dire que c'est en solde.

 

 

Publié dans Fables

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L'enfant sur le chemin

Publié le par Carole

    Le maître venait de se mettre en route, dans le vent froid qui fouettait jusqu’au coeur son frêle corps humain, le laissant comme nu dans ses os délavés.
    On l’avait appelé "Bashô", le maître du Bananier, parce qu’il s’était installé, après s’être engagé sur la voie de la poésie et avoir abandonné les honneurs du palais et les prérogatives des samouraïs, dans une humble cabane, plus pauvre que la plus pauvre cabane du plus pauvre des paysans, devant laquelle un disciple avait planté un bananier, pour le nourrir et l’ombrager. Mais un jour la cabane avait brûlé avec le bananier. Le maître avait longuement contemplé les cendres de ses dernières possessions terrestres. Il avait compris qu’il lui fallait reprendre, vieilli, et plus léger encore, la dure voie de poésie, jusqu’à ce terme de perfection qu’il n’avait fait encore qu’entrevoir, et il était parti pour un voyage de mille lieues vers son pays natal [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Fanée ?

Publié le par Carole

Titan-fane.jpg
  Jardin des plantes de Nantes - Palmarium - 4 juillet 2013
 
 
Titania s'est fanée. Endormie pour dix ans, ou bien cent.
J'aurais tant voulu la voir se refermer sur son sommeil de Belle, piquée par le fuseau de la soixante-douzième heure. Je suis arrivée trop tard. Une demi-heure trop tard. Elle avait rendu son dernier soupir de fleur. On ne visitait plus.
J'étais bien dépitée, mais j'ai fait le tour de la serre, et je l'ai aperçue dans ses voiles, doux fantôme de derrière la vitre. Je me suis penchée pour mieux voir. Des fleurs vivantes s'étaient déjà posées sur son reflet mourant, comme un troupeau de papillons.
Le Jardinier, je crois, avait cueilli son âme, et l'avait ressemée sur toutes ses plates-bandes.
Le monde est un jardin, l'espoir est sa saison, et tout s'en va en rond sur l'horloge du temps.
 

Publié dans Nantes

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Seul

Publié le par Carole

seul.jpg
 
Il devait se sentir bien seul, l'homme en gris.
C'était un peu après six heures, hier soir, pendant "le" match. Il s'était attablé tout gris près d'un arbre tout gris, sur l'esplanade grise, à la table grise d'un petit café gris démuni de tout téléviseur et par conséquent désert. Un peu plus loin, dans le café voisin magnifiquement doté de trois écrans, il y avait foule et c'était l'été brésilien.
Loin des jeunes gens au maillot coloré qui se battaient pour un ballon, loin des groupes d'amis qui s'étaient rassemblés partout, loin des cris de victoire et des hurlements de dépit, loin des bonheurs criards et des orages télévisés, il devait se sentir bien seul, l'homme en gris.
"Ils" ont perdu finalement, et "nous" avons perdu avec eux, paraît-il.
Lui, je crois qu'il avait perdu depuis longtemps, mais qu'il aurait bien aimé pouvoir jouer encore un peu. Dans un film en couleurs.

 

Publié dans Nantes

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Légumes, poissons, et autres coquecigrues

Publié le par Carole

guerre-des-legumes-et-des-poissons.jpg
    "Vous semblez les anguilles de Melun : vous criez davant qu'on vous escorche".
(Rabelais, Gargantua)
 
 
Je suis allée, comme beaucoup de Nantais, visiter au château l'exposition "Samouraïs".
L'art flottant de l'estampe (ukiyo-e) y était solidement représenté. J'ai été heureuse de revoir là quelques-unes des quarante-trois "Stations" d'Hiroshige que j'avais déjà admirées au musée Guimet. Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, c'est ce triptyque d'Hirokage daté de 1859 et représentant "La grande bataille des fruits, des légumes et des poissons", vision comique et parodique des guerres et soubresauts qui marquèrent la fin du Japon féodal.
 
hirokage
 
C'était si touffu et drolatique que je me suis souvenue de Rabelais, et de la façon dont frère Jean, enfant du nouveau monde, découpe comme des poulets ses adversaires, derniers débris en armure du vieil univers féodal, qui fuient comme des ânes et crient comme des anguilles.
Et je me suis dit que, d'un bout de la Terre à l'autre, les mondes anciens finissent toujours par s'écraser comme citrouilles mûres, poires blettes et poissons pourris, tandis que volent en ricanant les coquecigrues. Et aussi que, de même qu'un fruit exquis ressemble à un légume succulent, les esprits libres partout se ressemblent, et nagent de conserve, souples et légers, dans ces eaux troubles mais fécondes où infuse l'humanité.

 

Publié dans Japonisme

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Titania

Publié le par Carole

titan.jpg
    Jardin des plantes de Nantes - 1er juillet 2014
 
 
On l'appelle l'"arum titan", ou le "pénis de titan". C'est la plus grande fleur du monde. Et l'une des plus rares aussi.
Elle vient d'éclore au Jardin comme dans une forêt de Sumatra. Cela n'arrive que tous les dix ans à peu près. Et cela ne dure que soixante-douze heures.
Il paraît que toute l'énergie de la plante est tendue depuis sa naissance vers cette floraison exceptionnelle. Que chaque année, se préparant, elle forme une seule feuille, qui se fane aussitôt, et que ce n'est qu'après avoir ainsi formé et détruit plusieurs feuilles, année après année, qu'elle peut nourrir de leur substance cette fleur merveilleuse. La plante retombe ensuite, épuisée, dans un sommeil de plusieurs années. Jusqu'à ce que, peut-être, une autre fleur puisse jaillir un jour, sur l'autel obstiné de ses feuilles sacrifiées.
 
La file d'attente était bien longue, et j'ai trouvé très émouvant de constater que tant de gens s'étaient déplacés pour voir une simple fleur. 
Quand j'ai enfin pu entrer dans la serre, je n'ai pas du tout senti l'infâme odeur de chair pourrie, destinée à attirer les mouches pollinisatrices, dont on m'avait parlé. Dans l'humidité lourde de cette forêt naïvement tropicale, la fleur m'est apparue, vivante, douce et paisible, comme un rêve du Douanier.
Et puis, dehors, en regardant ces photographes impatients et lourdauds cogner de l'objectif sur la vitre embuée, je me suis dit que cette fleur si belle et si étrange avec son nom bouffon et son parfum de désastre était peut-être plutôt le songe de Bottom. 
 
titan---photographes.jpg
 
Et que sa beauté née dans l'ombre épaisse d'une île impénétrable avait sans doute, au fond, besoin, autant que des insectes pollinisateurs attirés par son odeur, de notre présence grossière et de notre humble admiration, pour développer toute sa perfection.
Alors je l'ai renommée : Titania.
 

Publié dans Nantes

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Ikebana

Publié le par Carole

ikebana
 
Ikebana, c'est la voie des fleurs. L'un des chemins qui mènent à l'accomplissement de soi, dans la contemplation du monde.
Le vieil homme qui était venu hier nous parler de l'ikebana, et qui avait composé pour nous ce bouquet, n'était pas japonais, mais après des années d'apprentissage auprès de maîtres japonais, il était devenu lui aussi un maître. Le bouquet était très beau, avec ses fleurs et sa tige d'asperge représentant le ciel, la terre, et l'humanité qui se tient entre terre et ciel. Mais ce n'est pas du bouquet que je voulais parler. Non... en fait, je voulais vous raconter une histoire :
 
Lorsqu'à la fin de la séance quelqu'un a osé demander au maître pourquoi, n'étant pas japonais, il avait consacré sa vie à l'ikebana, il a d'abord paru un peu hésitant. Puis il s'est lancé : autrefois, a-t-il dit, il était simple employé dans une jardinerie, et il était vraiment fatigué de son métier, fatigué de sa vie toute entière, qui lui paraissait vide.
Un jour il s'était rendu chez une de ses clientes âgées, qu'il connaissait depuis longtemps. Ils s'étaient mis à bavarder et il avait parlé de ce grand vide en lui. La femme alors lui avait révélé qu'après avoir connu une autre vie sans fleurs, elle était devenue maîtresse dans l'art de l'ikebana, qu'elle enseignait désormais. Elle lui avait proposé de l'initier à son tour et il était devenu aussitôt son disciple. Bientôt, il avait entièrement oublié son existence antérieure de marchand de végétaux, et il n'avait plus songé à rien d'autre qu'à se rendre au bout du monde, dans l'ignorance et la pauvreté, pour apprendre cet art de l'ikebana, dont il ignorait tout jusqu'alors.
La vieille cliente n'était pas celle qu'il croyait. Les fleurs n'étaient pas ce qu'il avait toujours vu en elles. Lui-même n'était pas non plus celui qu'il croyait devoir être toujours. Il avait eu d'un coup cette triple révélation, et il avait trouvé sa voie : la voie des fleurs, ikebana. 
 
Sa voie, chacun peut bien finir par la trouver. Mais pour cela il faut oser prendre l'autre chemin, fût-il de ronces et de cailloux, et laisser derrière soi les pétales morts de sa vie antérieure, comme un serpent laisse sa vieille peau. 
Pour accomplir sa vie, savoir quitter sa vie. Ou bien plutôt avoir un jour la force de la cueillir enfin, dans le pauvre jardin de ses échecs et de son ennui, pour en faire ce bouquet, dressé dans le triangle du ciel, de la terre et de l'humanité, qui cherchera la voie, un peu plus près de la lumière.

Publié dans Fables

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Aquarelle

Publié le par Carole

pluie.jpg
 
La pluie sur le pare-brise repeint la rue d'ici en aquarelle fine.
Le vent trempe ses doigts sur la palette en joie d'un peintre échevelé.
 
La pluie fait son Monet, le temps fait son Sisley.
Dans chaque goutte d'eau tremble un impressionniste.
Il nous pleut des musées comme des giboulées.
 
L'art au coin de la rue pose son chevalet, mendiant sans parapluie.

 

Publié dans Fables

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Retrouvailles

Publié le par Carole

    Elle n'aurait jamais dû. S'inviter comme cela, elle aurait dû se douter qu'il ne fallait pas.
    Il y a des choses qui ne se font pas. Et aussi des choses qui font que ce qui ne se fait pas finit par arriver.
    Car, franchement, elle aurait tellement préféré que rien n'arrive.
 
   Pourtant, quand elle était descendue du train, à V., le vendredi soir, et qu'elle était sortie de la gare, elle avait immédiatement senti son coeur battre. Tout au long du chemin, elle avait pensé : c'est la ville de Patricia. Patricia habite ici. Patricia... Et elle avait regardé autour d'elle, attentive, vibrante, comme si chacune de ces femmes qu'elle croisait dans les rues avait pu être Patricia. Patricia... Il y avait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vue. Mais comment aurait-elle pu oublier Patricia ? [...]
 
Suite du récit sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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Dans la rue avec don Quichotte

Publié le par Carole

Don-Quichotte-en-voiture.jpg
 
La voiture était garée très sagement. Une voiture ordinaire dans une rue banale. Et ces deux là soudain, surgis comme des ombres, sans ride ni raison...
 
Don Quichotte, je le savais, que tu n'avais jamais abandonné. Que tu allais toujours, à pied, à cheval, en mule, ou en voiture, vers tout ce qui ne peut s'atteindre, et qui pourtant doit nous conduire.
Mais qu'on ait pris la peine de poser ton image, silhouette aussi minuscule qu'éternelle, sur la carrosserie banale d'une voiture ordinaire, cela m'a donné, je ne sais pourquoi, l'impression que nous pourrions encore, laissant là nos automobiles et nos villes épuisées, nous tous, Sancho passants de ce monde en déroute, avancer près de toi, au grand pas des rêveurs qui ne va nulle part, vers... oui, vers... vers quoi au juste ? 
 

Publié dans Fables

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