En dégustant ce livre de bon cru, qui n'est pas, qui ne veut pas être un recueil de maximes, mais où tout tend, irrésistiblement, à se cristalliser en maximes et sentences, je me suis souvenue que c'est une particularité notable de tous les ouvrages récemment consacrés à la lecture, que leurs auteurs s'expriment en moralistes disséqueurs de nos vices.Sur tout autre sujet, on écrit des traités, des dictionnaires, des ouvrages instructifs, argumentés et détaillés, ou bien des romans, des poèmes, des pièces et des scénarios.Pour parler de la lecture, plus d'autre chemin possible, désormais, semble-t-il, que le chemin de traverse, fouetté d'orties cinglantes, de la maxime.
Sans doute parce que, comme le dit Charles Dantzig lui-même, la maxime est une "cartouche" (de gros sel, cum grano salis) que l'auteur tire sur nous pour secouer notre indifférence, et qu'on ne peut plus aujourd'hui parler de la lecture autrement qu'en chasseur caustique d'idées reçues, dans un monde si entièrement marchandisé qu'il croit avoir tout annexé - même elle ? - à son matérialisme léthargique.Mais, puisque le destin des maximes, aussi aiguës soient-elles, est toujours de venir se loger, comme des bonbons dans leur boîte, dans les cases élégantes des anthologies, je vous ai préparé un petit assortiment des maximes de bon poids que j'ai trouvées dans ce livre, malicieusement offert par un grand lecteur à tous les lecteurs, grands et petits, que nous sommes. Prenez sans crainte et savourez, c'est aussi sucré que salé :"La littérature, et en particulier la fiction, est une forme d'analogie. Ou, plus précisément, une des formes de compréhension par l'analogie." (p.12)"Un livre n'est pas fait pour les lecteurs, il n'est même pas fait pour son auteur. Il est fait pour être." (p. 27)"Lire est un acte grave qui isole. Je dirais même qu'on lit pour s'isoler." (p.91)"Lire ne sert à rien. C'est bien pour cela que c'est une grande chose. Nous lisons parce que ça ne sert à rien." (p.241)"La meilleure raison de ne pas lire, la voici : pour réfléchir. Car enfin, tout le temps que nous lisons, nous sommes comme le serpent devant le flûtiste." (p.239)Toutes les raisons de ne pas lire, en somme, qui sont les vraies raisons de lire...En refermant le livre, je me suis souvenue de la bibliothèque du Nautilus, où Nemo a rassemblé tous les livres qui comptent, à jamais enfermés avec lui dans l'espace clos du sous-marin. C'est là, enfant, que je rêvais de lire. Embarquée. Sans retour. Tout à la fois plongée dans l'océan du monde et séparée de lui par la vitre des pages. Et toute ma bibliothèque, je ne l'ai bâtie, livre à livre, que pour la déménager, un jour, à bord du Nautilus. Le seul endroit où la lecture aurait vraiment pu s'accomplir n'existe donc que dans un livre.Et voilà une autre raison de ne pas lire qui est, au fond, l'ultime raison de lire.
En face de moi, dans le tram, pourquoi parle-t-il aussi fort, cet homme qui vient de s'asseoir et qui téléphone ? Il parle une langue que j'ignore une langue d'Afrique dont il souligne si bien les accents, à grand renfort de gestes et d'intonations théâtrales, qu'il me semble presque la comprendre.Hélas, je ne pourrai pas continuer ma lecture. Intérieurement je maugrée ma rengaine habituelle : "Comment ne se rendent-ils pas compte, ces indiscrets qui nous transforment en auditeurs forcés de leurs insipides pièces téléphoniques... ? C'est curieux, tout de même, c'est incroyable, à quel point, aujourd'hui, tant de gens qui n'ouvriraient pas leur porte à tous vents, qui peut-être, chez eux, chuchoteraient pour que les voisins n'entendent pas leurs conversations, ne voient plus aucun inconvénient à claironner leur vie, du moment qu'ils sont dans les transports en commun... etc...etc..."Soudain, l'homme se met à parler en français. Et là, je comprends vraiment :-...ils viennent de tuer l'ex-ministre de la jeunesse, tu te rends compte... J'étais encore avec lui à Paris la semaine dernière, il était venu pour sa fille... elle étudie dans une école, là-bas... et ils l'ont tué... trois balles...Je vais chez sa belle-soeur, là... je me demande ce que je vais lui dire... tu te rends compte, l'ex-ministre de la Jeunesse !... oui, oui... ça fait très mal... et on n'imagine pas de rentrer au pays, après ça... il n'y a aucune sécurité... non... non, c'est lui justement qui les élimine... il est tout-puissant... tu te rends compte, faire tuer l'ex-ministre de la Jeunesse... oui, je le connaissais bien... j'étais encore avec lui la semaine dernière à Paris..."Mais déjà l'homme a éteint son téléphone... Il va descendre... Bientôt je le vois sur le quai, solitaire, dans ce quartier pauvre où il est en train de se perdre, sombre silhouette dans la foule.Depuis que le monde s'est rétréci, c'est curieux comme elle rencontre la nôtre à chaque instant, la "vie des autres", venue de loin, toute chargée de tragédies, de misères et de sang, d'exils et de désespoirs.Des vies, des vies qui se gênent et qui s'entrecroisent, des cargaisons de vies, téléphonant, se taisant, se bousculant, s'ignorant, s'unissant, s'écoutant, se répondant, s'entrechoquant et se quittant.
"Remplacez obus sphérique par projectile cylindro-conique. Partirai dedans."Michel Ardan, De la Terre à la Lune, Jules VerneOn fêtait aujourd'hui l'anniversaire de Jules Verne, né un 8 février, il y a presque deux-cents ans, dans une maison de l'île Feydeau à Nantes.Passant rue de l'Héronnière, j'ai levé les yeux, et j'ai croisé soudain le regard bleu de Michel Ardan suspendu dans les airs. Je me suis arrêtée un instant, me demandant ce qu'il pouvait bien penser de ce monde chaotique et moderne qu'il avait après tout, à bord de son obus lunaire, contribué à forger, tant il est vrai que les rêveurs ardents peuvent, seuls, donner à la pauvre raison scientifique et aux ternes pouvoirs de l'argent, la force qui crée et l'élan qui découvre.Mais des rêves de tous les Ardan d'hier, que reste-t-il ? Ne sont-ils pas finalement devenus cauchemars, ces rêves trop naïfs, maintenant que le monde comme il va ne va plus que bien mal ?Cric... Crac... voilà que m'entendant il s'est mis à gronder comme un orage, mon Ardan, tout là-haut, secouant son cercle de fer :"Cauchemars ? ce sont les rêves affaiblis, sans ardeur, détournés aussitôt par la haine, la tyrannie et la cupidité, qui deviennent cauchemars en s'écrasant au sol.L'humanité façonnée par ses rêves ne peut plus sans danger s'arrêter de rêver. Elle est comme l'obus envoyé dans la nuit, qui ne dépend que de l'élan qui l'envoya vers l'astre.Vous qui doutez de nos rêves, c'est de rêve que vous manquez, aujourd'hui. Oubliez vos chiffres, vos peurs, votre lucidité, vos experts à tête froide ; défaites-vous de ce réalisme casqué de plomb qui vous entraîne vers la chute. Travaillez de nouveau à rêver. Rêvez encore, rêvez plus fort et rêvez mieux, rêvez ensemble et sans répit ! Mettez-vous en orbite sur l'espoir, demandez la lune à la lune, ne lâchez jamais prise. Soyez cette fusée d'humanité, ce projectile vivant de votre volonté, qu'aucune nuit ne pourra plus dévier..."Mais j'avais dû rêver moi-même, car au-dessus de moi, dans la lumière pâle et glacée de février, il n'y avait déjà plus que cette vieille statue de bronze aux yeux mangés de vert-de-gris, vestige fatigué d'on ne sait quel hommage oublié, qu'on n'aura sans doute pas avant bien longtemps les moyens de restaurer...
Je l'ai très bien connu, l'arbre qui vivait là, derrière chez moi.
Il se tenait un peu penché, comme un vieux roi pensif, et je crois qu'il avait plus d'un siècle.Il avait longtemps veillé sur un château tout blanc. Puis le château était tombé en ruines, les chevaux avaient cessé d'emprunter l'allée cavalière, on avait bâti le lotissement. C'était un arbre si vaste et si haut.Son ombre de géant marchait avec le soleil et la lune. On lisait à ses pieds l'heure immense des mondes éternels.Les enfants s'enfonçaient en lui pour y rester cachés, rêveurs, approfondissant le mystère de ses feuilles.Les oiseaux accrochaient sur ses bras écaillés des bouquets verts de nids pépiant.La pluie roulait dans sa chevelure sombre de longues tresses de lumière.Et le lierre varappeur, aux abruptes falaises de son écorce,nouait de grands filets sauvages où remuaient des bêtes, des lichens, d'étranges champignons.Il y eut cet hiver neigeux où le vieil arbre fut sur le chemin froid la yourte toute blanche où l'on aurait tenu nombreux.Et soudain, au dégel, le fracas des tronçonneuses,joyeuses, actives et carnassières comme des guêpes.Et cette longue lourde chute dans l'herbe qui tremblait.Et de nouveau le vacarme fébrile des scies, désossant le tronc et les branches,le va-et-vient rapide des hommes au travail, qui se parlaient en riant, qui seraient fatigués le soir.Ensuite,les tas de bois géométriques, plus sinistres que des croix, sur les bords noirs de l'allée défoncée,le faible cri des oisillons sans nid,la muette douleur des enfants mis à nu,le silence effaré de la disparition.Et sur la terre désormais cette soucheoù le mort en rampantdans l'ombre lentementcreuse sa propre tombe.
C'était très abîmé. tout cassé. Si brutal. Inquiétant.On a cloué trois planches. Ça se voyait vraiment.On s'est dit : "Bon. On va repeindre."On s'en doutait, que ça ne masquerait pas grand chose, que ça s'abîmerait beaucoup, que ça irait de moche en pire, et de pire en bien pire. Après.Mais on s'est dit : "Après ? qu'est-ce que ça fait, après ? Du moment qu'aujourd'hui on repeint. Qu'on a l'air d'être là, d'avoir fait quelque chose."Bon. Je vous dis ça. J'ai l'air de parler d'une porte. Et je me doute bien que vous vous doutez.
15 millions à l'endroit, 15 millions à l'envers :ainsi tricote la fortune son petit tour et puis s'en va,te laissant poches vides ton veston d'illusions.Chaque fois qu'on te vend du rêve, chaque fois qu'on te laisse du vent,pense à regarder au miroir.Tu y verras probablement, clin d'oeil malin, sourire en coin, ton courage ton beau couragemonter la gardeen t'attendant.
J'ai pu encore à la Folle Journée applaudir Michel Corboz, si vieux maintenant, si fatigué, menant toujours pourtant son ensemble d'un doigt de maître, attentif aux plus infimes nuances, au plus léger soupir de l'âme des vieux maîtres. J'ai repensé à Bach devenu aveugle et composant toujours. Puis j'ai entendu la "Toccata" résonner dans les couloirs. En approchant, j'ai vu des musiciens frapper des bidons de métal. C'étaient les artistes du "Renegades steel band" de Trinidad, descendants d'esclaves à qui on avait interdit de jouer sur de "vrais" instruments de musique, et qui avaient su transformer leurs bidons martelés en instruments. Les bidons étaient l'orgue, et tous ensemble ils étaient l'organiste..Et je me suis dit que l'art existe toujours malgré.Qu'il ne peut exister que malgré.Cliquez sur les images pour entendre.
Ô bien-être ! Es-tu vraiment devenu un dieu, pour qu'on te prie ici ?Longtemps, tu ne fus que le confort matériel, le sentiment d'aisance que donne un moment de richesse et de prospérité, dans un monde de pénurie. Le plaisir égoïste et fragile du bon moment arraché pour soi, dans des sociétés où le groupe primait sur l'individu.Mais voici que tu t'es fait injonction. Voici que tu es devenu le seul, le véritable "être", celui qui se tient rayonnant dans le "bien". Voici que manquer à ta Loi est devenu une forme de crime, ou du moins une grave offense à la modernité. Voici que te vénérer comme soi-même est devenu le but suprême et incessant, vers quoi doit tendre, dans les pilules et les régimes, les exercices du corps et la méditation, chaque existence contemporaine.Voici que la souffrance est suspecte. Que le malheur est coupable.Que la maladie est une erreur dont chacun doit se sentir responsable.Que le deuil se soigne, que le handicap se surmonte.Ô bien-être ! Te voilà devenu dur aux faibles, toi qui toujours eus un faible pour les forts. Si dur que je crois que tu t'es en effet hissé au rang des dieux. Et, de tous ces dieux cruels que les humains inventèrent, il me semble que tu es aujourd'hui le plus tyrannique, le seul qui nous oblige à prier avec nos corps et nos esprits, sans que plus rien n'échappe à ta lumière souveraine.
Palais des Congrès de Nantes - 28 janvier 2015 - Inauguration de la Folle Journée 2015Aujourd'hui,Mes amis,Folle JournéeJour d'Orphée,Une pauseS'impose,Un point d'orgueSur ce blog,Un sourireD'Eurydice. Car de gigueEn chaconneLa musiqueSera bonne.
Il avait dû faire une erreur. C'était peut-être lorsqu'il avait tourné à gauche, tout à l'heure. Il avait dû se tromper de rue. Ou alors au contraire c'était lorsqu'en sortant du Conseil il avait pris trop vite à droite... oui, ce devait être à ce moment. Il s'était dit qu'il rattraperait la rue Victor Hugo en prenant par l'avenue Thiers. Mais avec le brouillard, il s'était fourvoyé. Ou alors, pas du tout. Il n'avait fait aucune erreur. Il avait suivi le bon chemin. C'était seulement le brouillard qui déformait tout. Et il avançait dans des rues connues, mais que l'obscurité rendait étranges et indéchiffrables. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui, exactement, avait pu arriver. Une seule chose était certaine : il était incapable de dire où il se trouvait. [...]Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com