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Les fraises des bois (réédition revue)

Publié le par Carole

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Jardin des Plantes de Nantes, vue depuis la rue du docteur Ecorchard 
 
Je longeais les murs du vieux parc.
Il était tôt. Le Jardin à cette heure était encore fermé, silencieux, replié sur lui-même comme un oiseau qui dort. Un jeune soleil de juin égouttait sa lumière sur l'aile bleue des arbres, et des chants s'éveillaient.
L'odeur poignante de la forêt embaumait le trottoir. Forêt d'aube alourdie de rosée, forêt d'été heureuse après la pluie, forêt moussant de champignons, forêt blottie de feuilles mortes, forêt d'hiver s'assoupissant : tant de forêts montaient vers moi dans ce matin très pur. Et brusquement je les ai vues, derrière la grille. Menues et rouges, surgies de leurs collerettes délicates de feuilles vertes, sous les grands camélias, dans l'ombre des lourds magnolias, loin du sentier des promeneurs, fraîches et vives comme un souvenir d'enfance. Trois fraises des bois minuscules et parfaites, venues de loin, de très loin en arrière, du plus lointain de ma mémoire, belles et solitaires comme ces fruits dessinés point à point sur les tapisseries du moyen âge. Je me suis penchée, j'ai tendu la main à travers la grille. J'aurais tant voulu les cueillir, les porter à mes lèvres, retrouver leur goût trop longtemps effacé de ma vie.
Les fraises des bois... Elles poussaient autrefois sur les sentes de Merlette, et derrière les sapins dans le jardin des grands-parents à Guéret, et aussi dans le coin des violettes, à Freschines, et je savais toujours les retrouver, et j'en tachais mes doigts, j'en barbouillais mes lèvres. Jamais je n'ai pu oublier leur parfum, leur goût un peu acide, leurs grains minusculement âpres qui restaient sous ma langue comme des paillettes aiguës de lumière.
J'étais si près, ainsi penchée, j'aurais presque pu les effleurer. Mais j'avais beau faire, j'avais beau allonger mes doigts mendiants vers les bois et les jardins si bien connus d'avant, rien à faire, elles étaient trop loin - elles étaient si loin, derrière la grille, loin de tous les sentiers, inaccessibles comme un souvenir d'enfance.
 
Des jours passés que reste-t-il, que mes doigts tendus tout tremblant de désir, et cette enfance dans mon coeur, meurtrie aux grilles des vieux jardins secouant leurs ombres, dans l'aube toujours intacte de ma mémoire ?

Publié dans Fables

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Voie d'accès

Publié le par Carole

    C’est un cauchemar que je fais quelquefois.
    Je suis au volant de ma vieille automobile si poussive, suspendue au sommet d’une pente, et je dois m’élancer sur la voie d’accès d’on ne sait quelle autoroute.
    Je suis là, arrêtée, immobile et figée, incapable d’aller plus loin, car la voie d’accès, c’est évident, est tout à fait impraticable… Elle est si courte, si effroyablement courte… Comment peut-elle être aussi courte ? Pourquoi a-t-on prévu, après cette côte intraitable, une voie d’accélération aussi absurdement brève ? [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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L'ami

Publié le par Carole

L'ami
J'avais poussé par hasard la porte du square. Il gisait dans l'herbe, géant tranché ébranché étêté, pleurant encore quelques larmes de sève, attendant sans linceul qu'on l'emporte tout nu vers la scierie qui le débiterait tout net en tranches ou en rondelles.
Je suppose qu'il fallait l'abattre, qu'il était devenu dangereux pour les enfants du quartier. Il était si vieux, forcément, qu'on ne pouvait plus se fier à son équilibre, à sa mauvaise tête chancelante... Et puis son ombre pesait lourd sur ce square trop étroit qu'on avait décidé de repeindre en jeune et en gai. La raison, la prudence, le bonheur des petits qu'on emmène promener dans les jardins des villes, tout, en somme, exigeait sa décapitation.
On avait fait ce qu'il fallait...
 
Un père promenait, un peu plus loin, sa toute petite fille.
Ils se sont approchés. J'ai entendu le père, qui disait à l'enfant :
"Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'il était ton grand ami... qu'il était toujours là pour toi."

Publié dans Fables

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Incendie

Publié le par Carole

Basilique Saint-Donatien, Nantes, 15 juin 2015 à 16h44

Basilique Saint-Donatien, Nantes, 15 juin 2015 à 16h44

Si je vous dis que ce matin, Saint-Donatien brûlait, et que, ce soir, Saint-Donatien fumait, toit crevé, pierres noircies, je crois que vous n'allez pas vraiment comprendre.
Il faut d'abord que je vous raconte deux histoires.
La première est assez récente : c'est celle de l'incendie de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, en 1972.
Un couvreur travaillait sur le toit, soudant au chalumeau... exactement comme à la basilique Saint-Donatien-Saint-Rogatien, ce matin. 
Histoire jumelle...
 
La seconde est très, très ancienne : c'est celle des gémeaux Donatien et Rogatien -Rogatien et Donatien. Romulus et Rémus d'ici, doux comme des enfants, martyrisés et fondateurs. Sur leurs corps confondus on a bâti, dit-on, la première église d'ici, et la foi de la ville, à l'ombre dorée de leur palme aujourd'hui toute noire, se reposait depuis bientôt deux millénaires.
Histoire de jumeaux... 
 
Incendie
Voilà, je crois que vous commencez à comprendre ce qui tout à l'heure ne s'est si bien consumé que pour se raviver, à la rumeur des flammes et à la flamme des symboles, dans le brasier de Saint-Donatien : un grand pan de mémoire, et cette petite part de légende dont toute ville a besoin pour y planter ses fondations.
 
Cette étrange impression, aussi, que tout, ici, est voué à la gémellité comme le monde à l'éternel retour.
 
http://www.ouest-france.fr/eglise-saint-donatien-incendie-actuellement-leglise-3484512

Publié dans Nantes

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La télécommande

Publié le par Carole

La télécommande
Que faire, lorsque l'on déménage, d'une vieille télévision ?
Celui-ci avait trouvé tout simple de nous la laisser sur le trottoir.
C'est interdit ? Cela encombre et dérange ? Evidemment, évidemment...
Alors, sur l'objet du délit, notre jeteur furtif avait posé, bien joliment, bien soigneusement, la télécommande, comme un qui aurait fait semblant de se dire qu'après tout, cette télé, il la donnait, qu'elle servirait bien à quelqu'un - avec sa télécommande intacte - une si belle télé, n'est-ce pas, en parfait état de marche... même c'était vraiment généreux, tellement altruiste, et tout à fait écologique, finalement, de la laisser là, au milieu du trottoir - avec sa télécommande presque neuve et qui changeait tout, ainsi offerte, ostensiblement philanthrope, responsable, solidaire et durable.
 
La bonne conscience est un bien si précieux, que nous ne manquons jamais d'en orner tous nos petits arrangements avec la loi et la morale.
Qui n'a jamais posé, sur l'écran noir et sale de ses actions mauvaises, une télécommande intacte  ?
 

Publié dans Fables

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Installation

Publié le par Carole

    Voilà qu'il est arrivé en retard à la fin... ça doit être à cause de ces mauvaises jambes qu'il a maintenant... Parce que, vraiment, c'est la première fois... jamais pu faire autrement qu'arriver en avance, chez HUA... toute sa vie... si on lui avait dit qu'un jour... Tant pis, il attendra dans la queue. C'est qu'il en est venu, du monde ! Pas croyable, ce monde qu'il y a, encore, pour passer la grille, du monde qui s'avance en colonnes et qui parle toutes les langues, comme avant... du monde qui vient de loin, de partout... 
    Là-haut, tout près du ciel, l'horloge est toujours là, à vous fixer de son immense cadran sévère. C'est curieux tout de même que les aiguilles aient disparu. Une horloge sans aiguille, une horloge face de lune, qu'est-ce que c'est ? Le visage du temps, peut-être, du temps qui file, puis qui se fige, pour toujours... [...]                                                                                                                            
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
 

Publié dans Récits et nouvelles

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Libres en livre-service

Publié le par Carole

Libres en livre-service
Des livres dans la rue. A la grille obscure d'on ne sait quelle cave, colorés, lumineux, posés sur leur branche de ciment comme des oiseaux repliés sur leurs ailes.
Des livres dans l'escalier. Des livres pour s'asseoir sur les marches, avant de remonter un peu plus haut, ou de descendre plus léger.
J'ai aimé les voir là. Offerts et dérisoires. Précieux et patients.
Libres en livre-service, comme devraient être tous les livres.

Publié dans Fables

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Epitaphe

Publié le par Carole

Epitaphe
Et ce matin...
devant l'arrêt du bus, lui ou un autre, son frère ou lui...
troussé retroussé détroussé par la mort...
lui ou son frère, un autre ou lui, en peau de lapin sur le bord de la route, et pour seule épitaphe un rayon de soleil attristé...
il m'a fallu le reconnaître comme on reconnaît à la morgue un proche assassiné.
 
Les hérissons traversent les routes, la nuit, à pas de hérissons, tandis que sur ces routes les humains se ruent au galop des moteurs.
C'est ainsi.
Il paraît que les hérissons ont tort d'aller au rythme de la terre, qui est celui du pas hésitant des bêtes, et de la nuit venant après la lumière.
Puisqu'ils en meurent.
Et que les humains ont raison d'aller au rythme de leur seul désir.
Puisqu'ils n'en meurent pas encore.

Publié dans Fables

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L'oeil du hérisson

Publié le par Carole

L'oeil du hérisson
Il fourrageait dans le jardin, chasseur audacieux du soir, terreur des escargots et des limaces, fatalité des cloportes et des hannetons.
J'ai ouvert doucement la porte. Je me suis approchée. Penchée sur lui j'étais l'humain et l'inconnu, j'étais la mort peut-être.
Il n'a pas eu le temps de se mettre en boule, il s'est juste effondré sur ses pattes comme un tas de brindilles. 
J'ai aperçu son oeil. Luisant, ouvert et fasciné, certain que je le guettais. Mais immobile et figé, tout à fait incapable de me regarder, moi qui étais pour lui le Danger.
 
L'oeil même de la Peur, ai-je pensé.
 
Prenant pitié de tant d'angoisse, honteuse un peu aussi d'avoir sottement joué à être le destin, je me suis fraternellement éloignée. Lui, se hissant sur ses pattes enfin délivrées, il a repris son chemin oublieux, humble Oedipe du jardin, vers cette nuit des hérissons qui ressemble tant à la nôtre.
 
L'oeil du hérisson

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L'oiseau et le jet d'eau

Publié le par Carole

L'oiseau et le jet d'eau
L'oiseau - une petite poule d'eau - s'était posé sous le jet d'eau comme au centre du monde.
Que pouvait-il faire là ? C'était très surprenant, cet oiseau immobile et contemplatif, comme un nénuphar oublié, regardant l'eau monter et descendre dans sa poussière d'arc-en-ciel.
Et si, comme moi-même, il n'avait été occupé qu'à admirer ?
Est-il possible que les animaux aient le sens du beau ? 
Si... si eux aussi savaient admirer, contempler... ? Alors... ne serions-nous pas frères, jumeaux par nos regards ?
Du regard de la poule d'eau au regard d'un humain, s'il n'y avait que le cercle de l'eau, montant et descendant, unissant les semblables ? Si nous étions ensemble comme des gouttes d'eau emportées en miroirs dans le grand flot du monde ?
Nous avons tout misé, nous les humains, sur la ligne droite, sur la règle qui mesure, sur les mots qui cloisonnent, sur le progrès qui va et sur le temps qui passe, et sur les rives qui séparent. Vérités utiles, nettes et implacables. Mais si le monde, sous cette armure rigide, avait encore une autre forme, une autre vérité tranquille, où tout irait en cercle ?
Ainsi, devant l'oiseau méditatif étudiant le jet d'eau, je méditais, confuse et égarée, parmi les ronds brouillés de mes pensées ricochantes.
Mais enfin l'oiseau a repris sa route de banale poule d'eau, sa ronde de prisonnier sur l'étang, et mes pensées hésitantes sont retombées comme gouttes perdues, sous le jet d'eau indifférent à son écume.
 

Publié dans Fables

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