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Sous les feuilles

Publié le par Carole

Sous les feuilles
Si souvent, c'est ainsi qu'on grandit, incertain et timide, sous le couvert tranquille des ombres protectrices serrées comme des mains sur tous les coeurs qui n'osent.
 
Il faut tant de courage, ensuite, pour tourner vers le ciel son visage enhardi, et tant de cruauté, pour froisser de ses poings le nid tendre des feuilles et la soie des ombrages,
 
se dresser solitaire
 
 
être soi-même enfin 
mortel et invincible
lumineux et fragile
 
ouvrir les yeux sans crainte
à l'instant éternel
où se fane et fleurit
 
la vie
 
la vie
 
la vie
 
suspendue dans le temps 
comme une fleur sans tige
 
suspendue dans le vide
et roulant vers le rien
 
comme un grain de rosée 
sur la peau du matin.
 
 
 

Publié dans Fables

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Migrateurs

Publié le par Carole

Nantes, square Daviais, août 2018

Nantes, square Daviais, août 2018

Je les vois chaque fois que je vais à la médiathèque Jacques Demy. A l'ombre chiche des arbres de ce petit square. En plein centre-ville. Sous les fenêtres ornées de mascarons des anciens armateurs. Juste à l'endroit où se trouvait autrefois le port. Juste au bord des voies du tramway. Juste devant les terrasses des cafés du quai.
 
Des tentes, aussi fragiles et serrées que passagers tremblants sur leurs canots. Et des gens qui attendent, sans bruit, au milieu des ordures, debout, assis, couchés - parfois lisant aussi, dans les rayons de la médiathèque toute proche. Qui attendent. Qui attendent  - mais quoi ?
 
Plus personne ne les regarde, on s'est habitué à eux aussi bien qu'à ces mendiants qu'on enjambe partout sur les trottoirs. Et puis, pourquoi regarder ce qu'il serait préférable de ne pas avoir vu ?
 
Je vous entends d'ici...  Alors, non, je n'ai pas la solution. Non, je ne donnerai pas de leçon. Ni à ceux qui regardent, ni à ceux qui ne regardent pas, ni à ceux qui passent, ni à ceux qui attendent.
 
Mais, tandis que, juste au-dessus des tentes, les avions d'août grondent et vrombissent sans répit, rasant la ville de leur ventre de fer tout rempli de touristes, je m'interroge sur ce monde étrange où nous vivons, où certains migrent à grands frais d'un bout du monde à l'autre, réalisant leurs rêves aussitôt convertis en photos instagram et messages facebook - tandis que d'autres s'en vont sans rien vers leurs rêves insensés, poussés par le vent de misère - pour n'être plus à la fin du voyage que des "migrants" démunis et passifs, restés à quai dans leurs ballots de toile colorée. 
Ce monde étrange où il est de bon ton d'être un acharné du nomadisme, si on court où on veut avec passeport et bagages, tandis qu'il est honteux et punissable d'être un nomade aux mains vides, un sans papiers sans valises, errant aux chemins de hasard que l'espérance dessine dans l'écume et la boue avec son doigt mouillé d'eau de naufrage.
Ce monde où les oiseaux migrateurs, peu à peu vaincus par les réacteurs et par le changement climatique,
au-dessus de tant d'étrangetés,
agonisent en silence.
 
 
 
 

Publié dans Nantes

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Eclipse

Publié le par Carole

 

La photo est ratée, forcément. Beaucoup trop floue.
Mais Elle, suspendue dans le ciel par le fil de l'éclipse, je la vois encore si nettement.
 
Belle. Comme toute rencontre.
Double. Comme tous ceux qui s'aiment.
Et solitaire enfin. Comme on doit se quitter.
 
Obscure et lumineuse
et si pâle et si rouge
sur l'eau bleue de la nuit
où roulent des étoiles
fleuries comme des îles.
 
Coeur ouvert et battant
suspendu tout sanglant
accroché tout vivant
au long fil de l'instant.
 
Coeur d'en haut hésitant
entre lumière et ombre
 
comme tous ceux d'en bas.
 
 

Publié dans Divers

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Le bonheur du jour

Publié le par Carole

Le bonheur du jour
Un bonheur du jour, ce fut d'abord l'un de ces petits secrétaires où les dames d'autrefois s'adonnaient au bonheur d'écrire - une lettre, un roman, un poème, une page de journal intime, un petit rien de chaque jour que leur plume brodait et rebrodait en rondes sur un papier parfumé, dans le calme secret de cette "chambre à soi " que Virginia Woolf leur souhaitait à toutes.
Marc Augé nous le rappelle au début du livre qu'il a consacré aux "Bonheurs du jour", qu'il appelle aussi les "bonheurs malgré tout", et même parfois les BMT, si minces et si légers dans leurs abréviations bourdonnantes d'insectes, humbles souffles de joie qu'on peut cueillir partout, même aux terres arides de la souffrance, du deuil ou du simple ennui.
 
Le bonheur est maintenant une idée à la mode en Europe et ailleurs, et nous nous croyons tenus de le cultiver dans les parterres ordonnés et modernes de nos programmes de "bien-être" et de nos manuels de "bien-vivre", pour le faire fructifier et grandir en bons propriétaires, écartant de lui la douleur et l'échec comme vils parasites, avant de le replanter comme un chou lorsqu'il décline, à la mode nouvelle de chez nous, dans un terreau de meilleur rendement. 
 
Souvenons-nous, pourtant, qu'il n'est de vrai bonheur que celui qui surgit et se fane comme un beau jour qui passe. 
Et de ces plumes anciennes et démodées, courant sur le papier dans cette poussière de soleil où tournoie la mémoire, maladroites, délicates, légères et obscures comme un destin de femme, essayant chaque soir de le dire, de l'écrire, d'en retenir un peu l'éclat.
Pour que vécu une première fois, il soit vécu une deuxième fois encore, 
l'humble bonheur du jour,
et commence en nos coeurs son petit bout de chemin vers cette éternité qu'il n'atteindra jamais.
 
 

Publié dans Fables, Lire et écrire

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Après

Publié le par Carole

Après
C'était étrange de les voir démontés et défaits, dans la boutique à louer, les mannequins footballeurs qui avaient si longtemps fait la haie.
 
C'était si curieux, aussi, ce soir, de voir chacun se passionner pour "son" équipe, d'entendre qu'on disait "nous" qu'on disait "on", et qu'on disait "la France" et qu'on disait "la Croatie", comme si vraiment onze artistes du ballon pouvaient, modernes Horaces ou modernes Curiaces, être à eux seuls leur peuple.
C'était si troublant, ensuite, de voir tant de gens secouer des drapeaux comme au temps des grandes guerres. Et plus troublant encore, à la  télé, de voir un coq géant s'afficher sur le vieil arc des triomphes napoléoniens...
 
C'était un peu la guerre, au fond. Et justement, non : ce n'était pas, ce n'était plus la Guerre. 
C'était le bonheur d'être ensemble, de se passionner pour le même spectacle, de crier les mêmes mots, de retrouver enfin, riche ou pauvre, la vieille égalité des conscrits et des "bleus". Sans les canons et sans les morts.
Alors, comment ne pas s'en réjouir ?
 
Tout de même. Je me demande s'ils ne vont pas, d'un coup, se sentir un peu seuls, demain, ceux qui étaient si heureux tous ensemble devant leurs écrans géants. Ceux qui faisaient la fête et qui nous klaxonnaient leur joie.
Quand tout sera vraiment fini.
Qu'on rangera dans le carton aux souvenirs les cris de victoire et les trompes des klaxons.
Dans l'ombre et la poussière de leur décor défait, comme au fond des vitrines qu'on démonte,
un peu seuls un peu tristes. 
 
 
15 juillet 2018, au soir de la finale de la Coupe du Monde de football
 

Publié dans Fables, Divers

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Vente aux enchères

Publié le par Carole

Vente aux enchères
Rue Sainte-Catherine il y avait un petit attroupement. Des jeunes femmes, sorties pour fumer d'une boutique voisine. Des camionnettes garées serrées. Des gens qui ralentissaient le pas pour regarder.
Quelqu'un a dit : "C'est aujourd'hui, alors ?". Et quelqu'un d'autre a dit : "C'est triste, quand même".
 
J'avais compris enfin : le vieux magasin de jouets, installé là depuis bien avant la naissance de mes enfants, le vieux magasin de jouets dont la vitrine débordante pâlissait depuis tant d'années, le vieux magasin de jouets où on avait oublié de décrocher une petite étoile de Noël, le vieux magasin de jouets se vidait aux enchères.
La porte était ouverte. Il y avait du monde. Je suis entrée.
Une dame à talons hauts, en robe blanche et courte, était en train d'adjuger des numéros.
"Lot 129, c'est Sophie la girafe... un lot de jouets pour bébé... on va commencer à 300. Qui met vingt ? 320. Qui met vingt ? 340..."
Sophie la girafe... elle avait des yeux si doux, quand les petites mains la pressaient...
"440 une fois, 440 deux fois..."
 

 

Elle est partie à 440, pour finir, la girafe aux yeux étonnés.

"Lot 130... on va commencer à 400... Qui met 20 ?..."
J'ai préféré sortir. 
Toute la rue au soleil se mirait derrière moi, sur la vitrine morte où frissonnait l'étoile. Les jeunes vendeuses étaient toujours là, silencieuses, à regarder de loin, à laisser la fumée dessiner dans l'air bleu des volutes fugitives.
 
Quand je suis repassée, au retour de ma course, on s'affairait à entasser dans les camionnettes de grands sacs de plastique transparents tout remplis de jouets.
J'ai cherché le numéro 129...
Les grands yeux de Sophie se sont tournés vers moi.
Qu'ils étaient gris, sous le plastique épais.
Qu'elle était donc passée, la vitrine aux jouets.
Qu'il était donc pâli, le monde ce matin.

Un instant j'ai cru que c'était mon regard qui se troublait et s'emplissait de brume.
Un peu comme quand on est tout au bord de pleurer et que la vue commence à se brouiller.
Mais non, c'était seulement le temps, laborieuse araignée, qui avait tout repeint de poussière. Et de petites mains d'enfants, dès le prochain Noël, reteindraient couleur joie les jouets revendus pour pas cher - sur internet, où tout est toujours neuf.
 
 
"Il va falloir y aller", a dit l'une des jeunes femmes en soupirant. Mais elle est restée immobile, à écraser rêveusement son mégot entre ses doigts bagués.
 

 

 

Publié dans Nantes

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A sac

Publié le par Carole

Décor "absurdographe" composé par J. Rigaudeau pour le Voyage à Nantes

Décor "absurdographe" composé par J. Rigaudeau pour le Voyage à Nantes

Mais qui donc - passant blagueur ou employé farfelu ? - qui donc avait eu l'idée de ce décor étrange, qui donc avait organisé là-haut cette curieuse mise à sac
A coup sûr celui-là avait lu dans son enfance ces histoires de Picsou où un vieil oiseau déplumé, aussi cupide et hargneux qu'un humain, transporte ses piscines de $$$$ dans de grands sacs à noyer le bonheur, sur lesquels, esclave de lui-même, il lui faut veiller nuit et jour - car gare - argh... grrrr ! - aux sombres Rapetout.
 
Sans doute en effet devrions-nous plus souvent nous rappeler ces bandes dessinées de notre enfance, et nous souvenir, quand nous rêvons sottement d'épargner pour plus tard, qu'aucun avare n'entassa jamais que des bulles - Oups !? - qu'effaça toujours le mot FIN - Couic !
 
-Et qu'on n'empoignera plus son pognon, et que le pèze ne pèsera plus rien de rien, quand on n'aura que les os sur la peau ? Tout de même... qu'un banquier nous le dise... 
-Un banquier, pourquoi pas ?
 
 
Quand je suis repassée, l'ara s'était envolé.
 
-Peut-être s'était-il souvenu qu'il était aussi bleu qu'un ciel en joie...
-Et qu'il savait voler !
-Et les sacs ?
-Sans doute s'étaient-ils renversés, conformément aux lois de la gravitation universelle, pour aller s'éventrer sur le sol - Boum ! Craac !! Pschiitt... - révélant aux passants ébahis leurs entrailles de paille.
-Il n'y avait donc vraiment rien dans ces sacs ?
-Il n'y a jamais rien.
-Mais ce rien, au moins reconnaissez-le, ce rien-là est si lourd...
 
 

Publié dans Fables

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Faire la circulation

Publié le par Carole

Ce matin, au carrefour, devant l'hôpital psychiatrique, un homme vêtu de blanc fait la circulation.
Il agite ses bras comme la rose des vents, dans son sifflet d'enfant il souffle comme un dieu des ordres nuageux.
Les voitures le frôlent, un souffle d'au-delà dépeigne ses cheveux.
Ses bras tournent en rond, en ailes de moulins.
Il est aussi grand, aussi maigre que Lui.
 
Le monde est fou, et il est fou.
 
Mais les voitures galopent où il ne voudrait pas. Le chaos tient la corde et le chaos l'emporte, et le chaos hennit de fureur et de joie.
 
Accablé brusquement, l'homme renonce et se fige. Ses manches restent en croix un instant suspendues - deux voiles blanches qui n'ont plus d'horizon. Puis se replient vaincues, en pattes d'araignées. 
 
De quel royaume est-il le fou toujours fait mat,
celui qui veut que le monde ait un sens ?
 
 

Publié dans Nantes, Fables

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Tranché

Publié le par Carole

Tranché
Aboli bibelot d'inanité sonore
 
 
C'était, derrière le rideau de fer d'une de ces boutiques d'antiquaire où s'accumulent les curiosités bizarres et les bibelots dérisoires, un chien presse-livres, double de sa moitié, moitié de son entier, qui embrassait le vide. Etonnant songe-creux de plâtre, beau toutou pompéien que partageait le rien, bizarre tout-en-deux qui n'était pas même un.
 
Semblable à ces héros de dessins animés qui courent au-dessus des abîmes sans remarquer que le sol a quitté leurs pas, il continuait, fantastique et tranché, à frétiller de la queue, à cligner de l'oreille et à monter la garde - à faire semblant de rien, à ne pas remarquer - il continuait, tranche d'inanité, tronche d'humanité. Continuait... 
 
 
C'est si souvent ainsi. Les choses, les gens, les mondes, déjà brisés, rompus en blessures et platras, qui pourtant continuent, moulages de leurs cadavres, comme si de rien n'était, comme si jamais ils n'avaient réellement été, à croire qu'ils sont encore, dans leur coquille d'inconscience, ce qu'ils croyaient qu'ils furent.
 
Et je n'ai jamais su s'il fallait les admirer, les plaindre, les avertir, les fuir - ou simplement, de temps à autre, se retourner sur soi-même, revenir sur ses pas, et se tâter les côtes, pour vérifier qu'on marche encore... entier !
 

Publié dans Fables

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Chemin d'ailes

Publié le par Carole

 

Sur le chemin, les ailes ouvertes, elle m'attendait.

Je me suis souvenue.
 
Enfant, j'avais un vieil instituteur - sourcils noirs blouse grise voix d'orage - un de ces durs hussards qui instruisaient à coups de règle les enfants des campagnes. Je le redoutais, je tremblais quand son ombre haute et large s'écrasait comme un poing sur ma table en fronçant ses sourcils de tonnerre...
 
Un après-midi de printemps, un de ces beaux après-midis de mai qui roulaient comme de joyeux ruisseaux vers l'immense océan des vacances d'été, il nous avait emmenés mesurer les rues du village avec la grande et lourde chaîne d'arpenteur - c'était l'heure de la leçon de choses.
Je ne sais plus combien de dizaines d'hectomètres, de centaines de mètres, de milliers de décimètres, de millions de centimètres et de milliards de millimètres pouvaient bien compter, cet après-midi-là, les rues de notre petit village, enroulées autour de l'église comme la paille dans le nid - mais je le vois encore, le dur instituteur, se penchant soudain sur le chemin pour ramasser ce qui ressemblait à une simple feuille.
 
Il s'est redressé, a contemplé au soleil son humble trouvaille, puis il l'a lancée délicatement en l'air. La petite feuille s'est mise à tourner bizarrement, traçant dans l'air bleu des ellipses étranges.
-Samare, a-t-il dit avec admiration, disamare de l'érable.
C'était la première fois que nous le voyions sourire.
Et la feuille est retombée très doucement sur le sol.
 
Il s'est penché de nouveau, rêveur, l'a de nouveau ramassée, relancée, et de nouveau la feuille a tracé dans l'air bleu ses cercles mystérieux.
-Disamare, a-t-il encore dit, graine d'érable.
Pour la seconde fois nous l'avons vu sourire.
Il a rouvert sa main dans le vent qui passait.
-Anémochorie !
Et la graine, emportée par ce mot magique, s'est envolée, tourbillonnant toujours, par-dessus le muret de la ferme Hallouin.
 
Nous avons repris la chaîne, la lourde chaîne à mesurer le monde. Et lui, rogue et sévère de nouveau, nous a obligés à tout recompter, hectomètres, mètres, décimètres, centimètres et millimètres, avec une féroce exactitude.
 
Mais la graine d'érable, la samare-libellule ramassée sur le sol et jetée dans l'air bleu, elle s'en était allée si loin, par le jardin des Hallouin, par la route de Merlette, au-dessus des ruisseaux, des rivières et des océans, si loin au-delà du village, si loin sur son chemin d'ailes, si loin qu'aucune chaîne d'arpenteur n'aurait pu suffire à mesurer son élan.
 
 
En y réfléchissant aujourd'hui, je crois bien que, cet après-midi-là, la leçon de choses était une leçon de poésie.
Mais peut-être lui-même ne l'a-t-il jamais su.
 
 

Publié dans Enfance

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