Voyons voir
"Voyons voir"... j'ai lu cela rue Belle-Image... et j'ai pensé : "Que voilà une expression qui me plaît !... voyons voir... voyons voir pourquoi..."
Il y a tant dans ce redoublement du verbe, dans ce bégaiement des mots qui tournent sur eux-mêmes et se regardent voir... la lenteur de celui qui réfléchit, qui va son petit bonhomme de chemin, la curiosité calme du passant qui fait tout doucement son parcours de vivant, en ouvrant bien les yeux, sans se presser... oui, on le voit - voyons voir... - ajuster ses lunettes, mettre ses mains en visière, s'approcher, tourner autour, passer devant, et puis derrière, s'éloigner, revenir, étudier, chercher l'angle juste, le pli profond ou l'étrange recoin.
Voyons voir... car il est si important de voir, et de savoir voir, en ce monde éphémère et tout bruissant d'images, de belles et de laides images, de plates et fortes images, et de tant de passages... alors on le dit deux fois plutôt qu'une, on laisse un peu traîner les mots, voyons voir... et tout en parlant on se penche pour observer les dessus, les dessous, les à côtés, les petits riens, les ombres et les bosses, les coins de lumière et les parties rouillées, toutes les faces de la chose ou de l'idée qu'on a ramassée, recueillie ou cherchée dans ce grand fouillis, et qu'on soupèse et qu'on palpe, et qu'on essaie, qu'on réessaie... voyons voir...
Voyons voir... et qui sait si nous ne verrons pas au bout du compte tout à fait autre chose que ce que nous avions d'abord cru voir ?... voyons voir... qui sait ce que nous réserve le monde, quand nous venons à lui d'un pas tranquille, quand nous nous approchons, que nous lui sourions, que nous faisons route lente avec lui, sans admiration, sans dégoût, sans effroi, juste comme ça, pour le plaisir, et que nous prononçons sans hâte, dans cet impératif qui ne donne pas d'ordre, mais rien qu'un peu d'élan, un conseil brave d'amitié, - ou qui peut-être est simplement une question qui s'ouvre : " Voyons voir... " ?