Virtual times
Encore une conversation dans le tramway. Une bribe, une bulle arrachée à l'album infini de tant de vies qui me côtoient et qui m'échappent. Des mots qui passent et qui s'arrêtent à moi, juste un instant, avant de disparaître, alors que j'attends de descendre.
Des copains derrière moi se souviennent d'un copain... mais il est mort.
— Tu l'as su, qu'il était mort ?
— Oui, je l'ai su par X., bien après... Je me demandais ce qui se passait... Je lui avais envoyé plusieurs messages et il n'avait pas répondu. Je me disais, tout de même, ça ne se fait pas... (rires gênés, tandis que je descends.)
C'est vrai, tous ces messages, ces appels, ces textos, ces adresses virtuelles et ces numéros, et ces forums et ces blogs, toutes ces traces numériques que nous avons semées un peu partout, cela doit continuer un moment, quand on est mort... Combien de temps en recevons-nous encore, après, des messages, des appels, des SMS et des textos, sur nos réseaux et nos mobiles ? Et combien de temps flottent-ils encore sur la toile, tous ceux qu'un jour nous avons envoyés ?
Nous sommes la première génération, dans toute l'histoire de l'humanité, à fabriquer sans cesse et à jeter autour de nous des milliers de petites ombres bavardes, qui nous survivront quelque temps, indécises, dans la cacophonie, avant de disparaître lentement, de plus en plus légères, de plus en plus absentes aux abonnés du web.
Etre mort, c'est simplement cela, sans doute, aujourd'hui, aux temps virtuels. Ne plus répondre aux messages. Chuter de la première à la cinq-centième page "Google". Clignoter de plus en plus faiblement sur l'écran. Ne plus être géolocalisable. Devenir franchement insociable. Et perdre ses derniers amis facebook.
Quelque chose de difficile à imaginer, en effet, quelque chose qui ne se fait pas, quelque chose de bizarre et qui suscite une forme de gêne.
Car dans le monde du virtuel nous sommes tous déjà un peu fantômes. Et les fantômes n'aiment pas qu'il y ait plus fantômes qu'eux-mêmes.