Une vieille bête
Eglise de Selommes - Loir-et-Cher
J'ai beaucoup d'affection pour cette vieille bête qui garde, près du saint qu'on ne reconnaît plus, le portail de la petite église.
Elle a des yeux usés qui s'ouvrent au grand soleil et qui pleurent sous la pluie, et les traits assombris de ceux qui ont vécu.
Elle n'a plus de gueule que ce qu'il en faut pour sourire ou gémir, et sa mâchoire emportée ne nous mordra jamais.
La saponaire grandit confiante près de son front qu'éclaire le lichen. Ses oreilles pointues entendent tout ce que nous disons - même ce que nous n'osons qu'à peine chuchoter dans nos coeurs. Et toujours elles pardonnent.
Un sculpteur de village l'a taillée autrefois dans un bloc arraché aux coteaux du Loir. Non un sculpteur de cathédrales ou de châteaux, mais un simple, un modeste, un de ceux qui passaient de chantier en chantier pour orner les églises des humbles et les manoirs de Sigognac, et qui dormaient le soir dans la paille des granges.
C'est lui qui lui a fait , de ses mains de brave homme, de son burin de paysan-maçon, ces yeux tendres de bête douce, ce bon museau de chien fidèle, ce visage de sable usé comme le lit de la Houzée. Cet air qu'elle a, auprès du saint presque effacé à la bouche revêche, d'être la bête et la hideur, l'objet de tout mépris, et cependant de ne pouvoir qu'aimer.