Une souche
Je l'ai très bien connu, l'arbre qui vivait là, derrière chez moi.
Il se tenait un peu penché, comme un vieux roi pensif, et je crois qu'il avait plus d'un siècle. Il avait longtemps veillé sur un château tout blanc. Puis le château était tombé en ruines, les chevaux avaient cessé d'emprunter l'allée cavalière, on avait bâti le lotissement.
C'était un arbre si vaste et si haut. Son ombre de géant marchait avec le soleil et la lune. On lisait à ses pieds l'heure immense des mondes éternels. Les enfants s'enfonçaient en lui pour y rester cachés, rêveurs, approfondissant le mystère de ses feuilles. Les oiseaux accrochaient sur ses bras écaillés des bouquets verts de nids pépiant. La pluie roulait dans sa chevelure sombre de longues tresses de lumière. Et le lierre varappeur, aux abruptes falaises de son écorce, nouait de grands filets sauvages où remuaient des bêtes, des lichens, d'étranges champignons. Il y eut cet hiver neigeux où le vieil arbre fut sur le chemin froid la yourte toute blanche où l'on aurait tenu nombreux. Et soudain, au dégel, le fracas des tronçonneuses, joyeuses, actives et carnassières comme des guêpes. Et cette longue lourde chute dans l'herbe qui tremblait. Et de nouveau le vacarme fébrile des scies, désossant le tronc et les branches, le va-et-vient rapide des hommes au travail, qui se parlaient en riant, qui seraient fatigués le soir. Ensuite, les tas de bois géométriques, plus sinistres que des croix, sur les bords noirs de l'allée défoncée, le faible cri des oisillons sans nid, la muette douleur des enfants mis à nu, le silence effaré de la disparition. Et sur la terre désormais cette souche où le mort en rampant dans l'ombre lentement creuse sa propre tombe.
Il se tenait un peu penché, comme un vieux roi pensif, et je crois qu'il avait plus d'un siècle. Il avait longtemps veillé sur un château tout blanc. Puis le château était tombé en ruines, les chevaux avaient cessé d'emprunter l'allée cavalière, on avait bâti le lotissement.
C'était un arbre si vaste et si haut. Son ombre de géant marchait avec le soleil et la lune. On lisait à ses pieds l'heure immense des mondes éternels. Les enfants s'enfonçaient en lui pour y rester cachés, rêveurs, approfondissant le mystère de ses feuilles. Les oiseaux accrochaient sur ses bras écaillés des bouquets verts de nids pépiant. La pluie roulait dans sa chevelure sombre de longues tresses de lumière. Et le lierre varappeur, aux abruptes falaises de son écorce, nouait de grands filets sauvages où remuaient des bêtes, des lichens, d'étranges champignons. Il y eut cet hiver neigeux où le vieil arbre fut sur le chemin froid la yourte toute blanche où l'on aurait tenu nombreux. Et soudain, au dégel, le fracas des tronçonneuses, joyeuses, actives et carnassières comme des guêpes. Et cette longue lourde chute dans l'herbe qui tremblait. Et de nouveau le vacarme fébrile des scies, désossant le tronc et les branches, le va-et-vient rapide des hommes au travail, qui se parlaient en riant, qui seraient fatigués le soir. Ensuite, les tas de bois géométriques, plus sinistres que des croix, sur les bords noirs de l'allée défoncée, le faible cri des oisillons sans nid, la muette douleur des enfants mis à nu, le silence effaré de la disparition. Et sur la terre désormais cette souche où le mort en rampant dans l'ombre lentement creuse sa propre tombe.